Time After Time

Quentin Billard

Bien avant le célèbre 'Back To The Future' de Robert Zemeckis,  le 'Time After Time' (C'était demain) de Nicholas Meyer (plus connu pour  avoir réalisé 'Star Trek II: The Wrath of Khan' en 1982) traitait déjà  du thème du voyage dans le temps, sujet que l'on doit au fameux  romancier anglais H.G. Wells qui se trouve être le héros de ce  thriller/science-fiction. Le scénario de ce film part sur une idée  folle: H.G. Wells (interprété ici par Malcolm McDowell), le 'père de la  science-fiction' moderne, auteur de 'The Time Machine', met au point la  machine à voyager dans le temps dans le but d'explorer le passé et le  futur de l'humanité. Or, il se trouve qu'au même moment, le célèbre  tueur Jack l'éventreur continue de semer la terreur en assassinant  sauvagement des prostitués des bas quartiers de Londres. La situation se  complique alors lorsque la police découvre que Jack l'éventreur n'est  autre que le médecin John Lesley Stevenson (David Warner), l'un des amis  de Wells. Jack/Stevenson n'a plus qu'une seule solution: s'enfuir à  bord de la machine à voyager dans le temps pour se réfugier dans le  20ème siècle, en 1979. Heureusement, la machine est faite pour revenir à  son point de départ lorsqu'on lui enlève sa 'clé', et c'est bien ce que  Wells a pensé à faire, si bien que la machine, ayant transporté Jack  dans le futur, revient ensuite en 1895, permettant alors à Wells de  l'utiliser à son tour pour se transporter en 1979 et poursuivre Jack  l'éventreur à travers les rues de San Francisco, aux Etats-Unis.  Commence alors une longue course contre la montre pour tenter d'arrêter  l'assassin qui découvre un nouveau siècle violent et toujours aussi  brutal. Entre temps, Wells va rencontrer Amy Robbins (Mary Steenburgen),  une jeune américaine qui travaille dans une banque. Entre Wells et Amy  va naître un grand amour qui sera pour Wells l'occasion de découvrir les  coutumes et la manière de vivre de ce nouveau siècle. Dans la vraie  vie, Amy Robbins fut la femme de H.G. Wells. Cette dernière mourut en  1927. Après sa mort, Wells écrivit 'The Shape of Things To Come' et  mourut à son tour à Londres, le 13 Août 1946.


'Time After Time'  est un film assez spécial, à mi-chemin entre la science-fiction et le  thriller. Mélanger les deux grandes 'figures' anglaises que sont H.G.  Wells et le sinistre Jack l'éventreur était un projet assez osé, et  malgré le côté irréel de cette histoire, on ne peut qu'applaudir  l'exploit accompli par le futur réalisateur de 'Star Trek II'. Derrière  cette sombre histoire se cache aussi une parabole sur la sombre nature  de l'homme, une nature cruelle et primitive qui n'évolue pas de siècle  en siècle. En partant de son époque, des rêves plein la tête, Wells  pense que la société du futur sera forcément meilleure, harmonieuse et  plus paisible. Evidemment, il se trompait lourdement mais ne le savait  pas encore. Cette terrible expérience dans le futur sera pour lui  l'occasion de découvrir à quel point il a pu se tromper sur le compte de  l'homme: malgré l'essor technologique de cette nouvelle époque, le  20ème siècle fut encore plus brutal et sanguinaire que le siècle  précédent: deux guerres mondiales, une guerre au Viêt-nam, la  prolifération des armes aux Etats-Unis, etc. Certes, la 'démonstration'  que nous propose le réalisateur reste assez caricaturale, mais le propos  n'en est pas moins juste. Si le scénario a retenu le personnage de Jack  l'éventreur, c'était surtout pour renforcer cette parabole sur la  violence de l'homme: Jack se vante d'être à 'l'origine' du 20ème siècle.  Est-ce qu'à travers ses actes de barbarie le tueur voyait déjà ce que  le futur allait devenir? Il ne fallait certainement pas être un devin  pour comprendre que la situation de l'humanité n'allait pas s'améliorer  dans les temps à venir. Pourtant dans le film, Wells nous est décrit  comme un être optimiste, aux idées parfaitement utopiques, ce qui nous  conduit finalement au triste propos du film: l'homme est un être mauvais  et le restera à tout jamais, jusqu'à la fin des temps (l'histoire est  là pour nous l'apprendre). L'autre message du film est bien entendu  celui sur l'amour, ce grand Amour qui fait que la vie vaut la peine  d'être vécu malgré la profonde connerie de l'homme, et la romance entre  Wells et Amy est là pour nous le prouver. Une fois encore, et comme nous  l'avons déjà mentionné un peu plus haut, tout cela reste très  caricatural (le gentil amoureux, poli et optimiste, le méchant très  cruel et inhumain, etc.) mais le film nous convainc néanmoins par la  qualité de son scénario, les idées qui s'en dégagent et les effets  spéciaux impressionnants pour l'époque (la séquence du voyage dans le  temps vers le début du film est très impressionnante sur le plan  visuel). Une véritable surprise!


Pour les besoins de son film, le  réalisateur souhaitait renouer avec le son orchestral de l'âge d'or  Hollywoodien. Le film de Meyers (sa toute première réalisation) se situe  en pleine époque du renouveau du cinéma spectaculaire de  science-fiction, relancé par Georges Lucas et Steven Spielberg. En 1977,  Spielberg cartonnait avec 'Close Encounters of The 3th Kind'. La même  année, Lucas connaissait un succès international avec 'Star Wars'. Ces  deux grands monuments du cinéma de science-fiction ont contribués à  relancer cette vague d'un cinéma d'aventure proche de ce que l'on avait  pu connaître durant l'âge d'or Hollywoodien (la même année que 'Time  After Time', Ridley Scott tournait l'inoubliable 'Alien' tandis que  Robert Wise réalisait 'Star Trek: The Motion Picture'). C'est ce qui  explique probablement le fait que le réalisateur, passionné par la  musique du Golden Age Hollywoodien, ait voulu faire appel au grand  Miklos Rozsa, surnommé par certain béophile comme étant 'le dernier  grand compositeur romantique'. Malgré les qualités d'écriture  irréprochables de cette partition alternant aventure, action et  suspense, on ne peut s'empêcher d'être gêné par le style finalement  'vieillot' utilisé par Rozsa dans le film de Meyer. A l'écoute du score  de 'Time After Time' dans le film, on a l'impression d'entendre une  musique toute droit sorti d'un autre âge, d'une autre époque. Il y a un  sérieux décalage entre le style 'moderne' du film (plus tourné vers les  années 80) et le style 'ancien' de la musique, et ce décalage crée par  moment un certain malaise. Etait-ce donc la meilleure solution à  envisager pour la musique de film? Nous pourrons émettre quelques  réserves en nuançant néanmoins notre propos, puisque, à l'image des deux  personnages principaux du film, la musique de 'Time After Time'  s'échappe elle aussi de son 'époque' pour se retrouver dans une autre  époque, celle de 1979. C'est probablement dans cette optique là que la  musique du film a été pensé, et on ne peut qu'applaudir le compositeur  pour avoir réussi à élaborer une telle astuce, une telle gageure, même  si on est un peu gêné par le décalage apparent entre l'époque du film et  'l'époque' de la musique.


La partition symphonique de Rozsa  repose sur deux grands thèmes principaux, un excellent 'Love Theme'  typique du compositeur, décrivant la romance entre Wells et Amy. L'autre  thème est un sinistre motif descendant associé au tueur. Sa présence,  souvent opposé au matériau plus romantique de la partition crée une  sensation de malaise apparent: le mal est omniprésent et rôde tel un  prédateur à la recherche d'une nouvelle proie. Pour renforcer le son  'Golden Age Hollywoodien' de sa partition, Rozsa a tenu à faire débuter  le film au son de sa célèbre fanfare pour la Warner Bros, suivi du 'Main  Title' qui donne le ton de l'oeuvre, dans un style orchestral plutôt  ample privilégiant les cuivres, les cordes, quelques vents et quelques  percussions. On retrouve ici le son 19èmiste typique du compositeur, un  son qui coïncidence parfaitement avec le début du film qui se passe dans  les années 1890 à Londres. N'oublions pas que la musique symphonique de  cette époque était dominée en Allemagne et du côté de Vienne par Gustav  Mahler, Richard Strauss ou bien encore Anton Bruckner , qui allait  mourir en 1896. (Wagner étant mort en 1883). Bref, on débute le film en  pleine période Romantique et, à l'instar du score de Rozsa, on reste  dans ce style Romantique même après nous être transporté dans le San  Francisco de 1979.


Le début du film nous plonge dans une  atmosphère mystérieuse avec des cordes et des cuivres pesants qui  rappellent le style thriller typique du compositeur (qui nous renvoie  ici à ses musiques de thriller des années 40). Rozsa évoque alors les  premiers méfaits de Jack l'éventreur. Evidemment, on pense par moment au  style de Bernard Herrmann mais sans le côté lourd et appuyé des  orchestrations. On a véritablement à faire ici à du Rozsa au sommet de  son art (il continuera à composer jusqu'à la fin des années 90, et il  mourra en 1995). La terreur et le suspense sont deux éléments typiques  du score de 'Time After Time', et malgré le côté peu original de ces  morceaux de suspense/frisson (on est parfois très proche de 'Spellbound'  par exemple et d'une pièce telle que 'Terror On The Ski Run'), le  résultat à l'écran est assez saisissant. Si Rozsa maintient son  atmosphère de mystère tout au début du film jusqu'à la séquence du  voyage dans le temps où il fait appel à une écriture plus rythmé et  saccadée faisant intervenir les percussions, xylophone, cuivres, etc.,  c'est le romantisme qui apparaîtra dans la seconde partie de la  composition de Rozsa avec le fameux 'Time Machine Waltz', interprété au  piano par Eric Parkin pour la scène où Wells et Amy dînent ensemble au  restaurant. Le 'Time Machine Waltz' est en faite une reprise du 'Love  Theme' pour piano solo, un thème que Rozsa développera parfaitement à  l'orchestre par la suite (il aura même recours à une version avec violon  soliste et orchestre, digne de 'Double Indemnity').


Mais c'est  la partie suspense à la 'Spellbound' que l'on retiendra ici. L'action  apparaît dans un premier climax, l'excitant 'The Ripper/Pursuit' qui  s'avère être un premier grand tour de force orchestral de la part du  compositeur. Pour la première séquence de poursuite dans les rue de San  Francisco, Rozsa martèle une rythmique orchestrale excitante reposant  sur un rythmique frénétique allant crescendo jusqu'à l'issue de la scène  (Jack arrive à s'échapper). On notera la manière dont le compositeur a  recours aux cuivres (cors et trombones bien mis en avant avec les  trompettes) et aux percussions et à la façon dont il fait s'accélérer le  tempo du morceau jusqu'à la séquence où une voiture renverse un passant  qui ressemble à Jack. Un autre élément particulièrement marquant  apparaît dans le petit thème de boîte à musique que l'on entend toujours  de manière rituelle avant que Jack commette un meurtre. (ce petit motif  est diffusé sur sa petite montre/boîte à musique dont il ne se sépare  jamais) A noter la façon dont l'orchestre fait parfois écho à ce thème  en reprenant la mélodie sous une forme orchestrale dérivée comme pour  mieux personnifier le côté malsain du personnage. 'Frightened', 'Murder'  et 'The Last Victim' sont autant de pièces qui font monter la tension  et évoquent le suspense avec des cuivres pesants et agressifs et des  cordes tendues et dissonantes (à noter l'utilisation remarquable de la  harpe dans la séquence du 'Nocturnal Visitor'). Le thème de Jack  l'éventreur prend une plus grande importance dans le morceau 'The Fifth  Victim' lorsque Jack fait sa cinquième victime. Ce thème devient de plus  en plus hypnotisant et Rozsa l'orchestre de manière à le rendre de plus  en plus pesant. 'Dangerous Drive' est finalement le dernier grand  morceau d'action du score, très proche de l'excellent 'The  Ripper/Pursuit'. 'Dangerous Drive' renoue avec le style excitant de 'The  Ripper/Pursuit' en martelant une nouvelle rythmique orchestrale  frénétique pleine de fureur et d'énergie. Le morceau rend cette dernière  scène de poursuite (en voiture) particulièrement intense, évoquant  presque par moment la musique d'action que l'on pourra entendre à  l'époque, surtout chez Jerry Goldsmith. On a à faire ici à un deuxième  grand tour de force orchestral de la part du compositeur qui a écrit  l'un de ses plus beaux passages d'action de cette fin des années 70.  L'histoire trouvera paisiblement sa conclusion sur le très romantique  'Journey's End/Final' qui reprend une dernière fois le 'Love Theme' dans  une version de cordes très sirupeuse mais aussi très 'happy-end'  Hollywoodien kitsch des années 30/40.


Avec 'Time After Time', pas  de concession: d'une manière totalement radicale, Miklos Rozsa aura  tenu à aller jusqu'au bout de son propos en écrivant un score de  suspense/terreur renouant avec le style du Golden Age Hollywoodien des  années 30 jusqu'aux années 50. Certes, le décalage apparent avec la  'modernité' du film peut choquer, mais le résultat n'en est que plus  conséquent: on part d'une époque pour voyager dans une autre, et le  final mièvre très 'classicisme Hollywoodien' pourrait parfaitement  évoquer cette idée de retour vers le passé (Amy et Wells retournent dans  les années 1890, Wells emportant Amy avec lui). Certes, 'Time After  Time' n'a rien d'une composition follement originale: Rozsa se tourne  très clairement ici vers son passé en renouant avec le style de ses  musiques thriller telles que 'Spellbound', 'Double Indemnity' ou bien  encore 'The Killers'. Néanmoins, 'Time After Time' est considéré comme  l'un des derniers grands classiques du compositeur d'origine hongroise  avec sa fameuse partition pour 'Providence' écrite en 1977 pour le non  moins célèbre film d'Alain Resnais. Pour les fans de Miklos Rozsa, 'Time  After Time' s'avère être une BO incontournable. Pour les autres, il se  pourrait bien qu'il soit surpris par l'énergie déployé par le  compositeur dans ses morceaux d'action et de suspense. Un score qui rend  un bien bel hommage aux musiques thrillers/romantiques du 'Golden Age  Hollywoodien', signé par l'un des derniers grands maîtres de cette  époque déjà quelque peu lointaine.

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