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Rebecca

Quentin Billard

Premier film hollywoodien du grand Alfred Hitchcock, « Rebecca » est l’adaptation cinématographique du roman éponyme de l’auteur britannique Daphne du Maurier publié en 1938, sorti au cinéma en 1940. L’histoire du film débute à Monaco, lorsqu’une riche veuve âgée, Mrs. Edythe Van Hopper (Florence Bates), vient s’installer dans l’hôtel « Côte-d’Azur » de Monte-Carlo accompagnée de sa jeune demoiselle de compagnie (Joan Fontaine). Les deux femmes croisent alors la route de Maxim de Winter (Laurence Olivier), un riche veuf qui séduit rapidement la jeune femme de compagnie de Mrs. Van Hooper et lui propose alors de l’épouser et de l’emmener dans sa demeure ancestrale de Manderley, près de la côté sud-est de l’Angleterre. La jeune femme, devenue la nouvelle Mrs. Winter, fait très vite connaissance avec le personnel du château, régenté par la glaciale gouvernante Mrs. Danvers (Judith Anderson). Cette dernière était attachée au service de la précédente Mrs. Winter, la mystérieuse Rebecca, à qui elle vouait une admiration sans borne, et qu’elle continue de vénérer en honorant sa mémoire. La gouvernante ne voit alors guère d’un très bon oeil la présence de la jeune « usurpatrice » sous le toit du château de Manderley. C’est alors que la nouvelle Mrs. Winter va très vite découvrir que le château est hanté par le souvenir de l’ancienne épouse disparue de son nouveau mari, et que certains secrets peuplent les pièces sombres de l’immense demeure de Manderley.

Réalisé au tout début de la carrière hollywoodienne d’Alfred Hitchcock en 1940, « Rebecca » est une sorte de conte gothique plutôt sombre, sur l’histoire d’un souvenir qui hante une gigantesque maison anglaise typique de la fin du 19ème siècle. Si l’histoire tourne autour d’une poignée de personnages majeurs (le riche veuf aux secrets inavoués, une gouvernante glaciale et manipulatrice, une jeune épouse de plus en plus obsédée par les mystères entourant le souvenir de Rebecca, etc.), le long-métrage d’Hitchcock est avant tout l’histoire d’une maison, qui s’avère être ici le véritable protagoniste principal de l’oeuvre : la demeure de Manderley est un personnage à part entière, et c’est la façon avec laquelle Hitchcock filme l’intérieur de ces grands couloirs et de ces pièces obscures qui fit le succès de son premier film américain (le cinéaste ayant oeuvré auparavant pour le cinéma britannique). Isolée de tout, démesurée dans ses proportions intérieures comme extérieures, la maison de « Rebecca » est porteuse d’une angoissante sous-jacente mais bien réelle, portée par le souvenir inquiétant de Rebecca, un souvenir obsédant, hantant, quasi fantomatique. Véritable chef-d’oeuvre gothique, romantique et baroque doublé d’une intrigue policière et d’un sens du mystère et du suspense typique du cinéaste, « Rebecca » fut ainsi récompensé en 1940 par deux Oscars (dont celui du meilleur film - unique dans la filmographie pourtant exemplaire d’Hitchcock !) et lança pour de bon la carrière d’Alfred Hitchcock à Hollywood. Aujourd’hui encore, « Rebecca » est constamment cité comme l’un des plus grands films américains du réalisateur, peut-être l’un de ses plus beaux films, un chef-d’oeuvre inoubliable, indémodable, un conte gothique qui se suit comme la trame d’une intrigue littéraire complexe et déroutante, un vrai film d’ambiance !

« Rebecca » doit aussi son succès à la splendide partition symphonique de Franz Waxman, sans aucun doute l’une des plus belles partitions musicales des films d’Alfred Hitchcock. Bien avant sa collaboration avec Bernard Herrmann au milieu des années 50, le cinéaste britannique travailla à plusieurs reprises avec Franz Waxman sur des films tels que « Rebecca » mais aussi « Suspicion » (1941), « The Paradine Case » (1947) et « Rear Window » (1954). La partition de « Rebecca » permet à Franz Waxman de nous offrir une nouvelle grande oeuvre romantique teintée de mystère, de suspense et de lyrisme typique de l’âge d’or hollywoodien. Dès sa splendide ouverture (« Main Title/Foreward/Opening Scene »), Waxman dévoile son magnifique thème principal, une grande mélodie de cordes lyrique et romantique à souhait, dans la grande tradition des mélodies romantiques hollywoodiennes de l’époque, le tout enrobé dans un classicisme d’écriture hérité du postromantisme allemand de la fin du 19ème siècle - à mi-chemin entre Mahler et Strauss. Le morceau nous fait ensuite entendre le thème de Manderley, mélodie plus gracieuse d’abord confiée à des cordes puis développée ensuite aux bois. A noter que ce thème prend très vite une tournure plus mystérieuse dans l’ouverture, alors que la voix off plante le décor et évoque les souvenirs lointains de cette grande demeure luxueuse symbole de tous les maux de l’héroïne du film. Enfin, le morceau se conclut de façon plus agitée avec une série de traits instrumentaux rapides et une dernière reprise du thème de Manderley. A n’en point douter, l’ouverture de « Rebecca » est une véritable oeuvre symphonique à part entière, reposant sur une pléiade de leitmotive inspirés dans la grande tradition du genre, une oeuvre qui s’écoute aussi bien avec que sans les images, du très grand art digne des plus grands maîtres allemands classiques du 19ème siècle !

La musique se veut plus légère et colorée pour la séquence à Monaco au début du film (la valse élégante et raffinée de « Hotel Lobby » ou l’exubérance de « Tennis Montage I ») tout en suggérant déjà clairement les sentiments naissants entre Maxim de Winter et sa nouvelle épouse (l’envolée romantique de « Tennis Montage II » qui dévoile le thème associé à Mrs. Winter dans le film), idée que l’on retrouve dans le non moins lyrique « Proposal Scene », dont l’utilisation du violon soliste et des cordes évoque à la fois le langage musical de Mahler, Strauss et Wagner, du romantisme pur comme on en entend quasiment plus de nos jours au cinéma. Waxman développe alors dans ce morceau un thème nostalgique et rafraîchissant associée à la future Mrs. Winter tout au long du film, un thème bien souvent léger et emprunt d’une certaine innocence, que l’on retrouvera à quelques reprises dans le film. La musique traduit même une certaine exubérance dans « Marriage », avec ses harmonies empruntées à Gustav Mahler, le morceau développant alors le magnifique Love Theme du film avec un entrain considérable (thème déjà annoncé à la fin de « Proposal Scene »). Franz Waxman s’affirme donc en digne successeur d’un langage musical postromantique sur le film d’Alfred Hitchcock, un peu comme le fit Miklos Rozsa en 1945 sur le splendide « Spellbound ». Le thème de Manderley revient alors en grande pompe dans le somptueux « Arrival At Manderley », lorsque la nouvelle Mrs. Winter arrive dans sa nouvelle demeure de Manderley. Les orchestrations sont, comme toujours avec Waxman, extrêmement riches et colorées, reflétant tout le savoir-faire de l’un des plus importants compositeurs du Golden Age hollywoodien. Dès lors, on entre dans la seconde partie du film (et de la musique) avec « Mrs. Danvers », alors que Mrs. Winter fait la connaissance de la gouvernante, la très glaciale Mrs. Danvers. La musique devient alors plus mystérieuse et nuancée, tempérant considérablement le sentiment d’exubérance extravertie de la première partie du film. Franz Waxman met ici davantage l’accent sur les bois et des cordes plus ambigües - sans oublier l’utilisation de violons solistes - tandis que le thème de Manderley reste présent, mais dorénavant porteur d’un sentiment de doute, de mystère. « Mrs. Danvers » nous propose en guise de conclusion une très belle reprise du thème de Manderley aux cordes et du thème principal aux cuivres. Un morceau comme « Walk to the Beach » permet à la partition de respirer avec un passage plus sautillant et coloré lorsque Mrs. Winter se rend sur la plage (Waxman développant pour l’occasion le thème sautillant de Mrs Winter), morceau largement dominé par les bois et les cordes. A noter que l’enthousiasme un brin juvénile du morceau est très vite interrompu sur la fin par une atmosphère plus sombre et menaçante aux cordes, suggérant l’énigme entourant la mystérieuse Rebecca.

Dans « Boathouse », Mrs. Winter comprend que quelque chose de grave s’est passé ici autrefois, quelque chose concernant l’énigmatique Rebecca. La musique devient alors plus sombre et plus tendue, construite sur une série d’harmonies plus complexes et torturées, une ambiance qui trouve écho dans « Coming Back from Boathouse » où règne un étonnant mélange entre un certain entrain associé à la jeunesse de Mrs Winter et au mystère entourant les secrets enfouis dans le passé de Maxim et de son ancienne épouse, Rebecca. On retrouve ici le Love Theme repris avec une certaine tendresse aux cordes, l’orchestre suggérant néanmoins une certaine agitation au fur et à mesure que Mrs Winter se rapproche de la vérité. La partition de « Rebecca » atteint son apogée dans l’excellent « Rebecca’s Room » où le thème principal est alors reprise par une flûte et un vibraphone baignant dans une atmosphère à la fois envoûtante et mystérieuse. « Rebecca’s Room » accompagne la séquence où Mrs Winter se rend dans l’ancienne chambre de Rebecca et ressent la présence quasi fantomatique de l’ancienne épouse Winter dans cette pièce restée intact après tant d’années. La musique joue ici sur l’idée d’un souvenir qui hante les lieux par le biais d’orchestrations plus impressionnistes et cristallines à base de vibraphone, piano et harpe. Les solistes sont ici beaucoup plus présents (violon, alto, etc.) et créent à l’écran une atmosphère à la fois étrange, inquiétante, mystérieuse et irrésistiblement envoûtante. Le thème principal (associé au souvenir de Rebecca) revient ici aux cordes et suggère clairement l’idée d’une maison hantée par un souvenir dévorant, hypnotisant, sans aucun doute le plus beau morceau de la partition de « Rebecca » (dans le film, on remarquera l'utilisation intéressante d'un Novachord pour suggérer le souvenir de Rebecca dans les murs de la maison). Dès lors, la musique devient plus sombre et porteuse d’une certaine tension, avec un « New Mrs. De Winter » plus massif, ou un « Confession Scene » plus ambigu et tourmenté, lorsque Maxim se confesse auprès de son épouse et lui révèle les secrets entourant la mort de Rebecca. La tension devient plus importante dans « Telephone Rings » avant d’aboutir à la somptueuse coda de la partition, le massif et déchaîné « The Fire and Epilogue » illustrant l’incendie final dans la demeure de Manderley et l’épilogue du film. C’est l’occasion pour Franz Waxman de reprendre une dernière fois le magnifique Love Theme en guise de conclusion plus heureuse.

« Rebecca » reste donc une partition d’une incroyable beauté, une oeuvre symphonique d’une qualité exceptionnelle, digne des plus grandes symphonies de Gustav Mahler ou des plus somptueux poèmes symphoniques de Richard Strauss. Avec un sens du lyrisme rare et un mélange étonnant entre exubérance, romantisme et mystère, la musique de Franz Waxman est un véritable accomplissement musical, fruit d’un savoir-faire irréprochable et d’une maturité d’écriture extraordinaire. Malgré son côté résolument académique et ultra conventionnel, la partition de « Rebecca » est pourtant un pur chef-d’oeuvre du genre, un sommet de la musique du Golden Age hollywoodien des années 40, et aussi l’une des plus importantes oeuvres dans la carrière de Franz Waxman. En symbiose totale avec les images du film d’Alfred Hitchcock, la musique de « Rebecca » illustre à la fois cette histoire d’amour et de souvenir qui hante les murs d’une immense maison avec un entrain et une passion exceptionnelle. A noter que le réenregistrement de Joel McNeely est de très grande qualité - comme toujours avec le compositeur - offrant ainsi une nouvelle jeunesse à l’une des plus somptueuses partitions romantiques écrites pour un film d’Alfred Hitchcock. Seule ombre au tableau : l'enregistrement de McNeely omet l'utilisation originelle d'un Novachord, instrument électronique qui était associé dans le film au souvenir de Rebecca, un oubli quelque peu regrettable qui faisait pourtant toute la particularité de l'oeuvre de Waxman dans le film. En définitive, voici Un chef-d’oeuvre de la musique de film, à ne rater sous aucun prétexte !

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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