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Taras Bulba

Quentin Billard

Célèbre nouvelle de l'écrivain russe Nikolaï Gogol, 'Taras Bulba' a connu quelques adaptations cinématographiques dont la plus connue reste sans aucun doute celle de Jack Lee Thompson réalisé à Hollywood en 1962. L'histoire nous plonge dans l'Europe de l'Est du 16ème siècle. Afin de bouter les turcs hors des steppes d'Ukraine, les cosaques s'associent pour l'occasion avec l'armée polonaise du prince Grigory (Guy Rolfe) et sortent vainqueur de la bataille. Mais les cosaques revendiquent à leur tour les steppes de leur pays dominées par les polonais et se voient obligés d'adopter une attitude hostile à l'égard de l'armée polonaise. Ils partent alors se réfugier dans leurs habitations, dirigés par le charismatique colonel Taras Bulba (Yul Brynner), modeste paysan ukrainien qui jure de combatte les polonais pour récupérer sa terre natale. Des années s'écoulent après que Taras ait donné naissance à deux fils qu'il élève et qu'il veut préparer à la guerre. Mais avant, il décide de les envoyer tout les deux dans une école polonaise à Kiev afin qu'ils reçoivent la meilleure formation et qu'ils soient prêts plus tard à combattre leurs ennemis. Sur place, Andrei (Tony Curtis) et Ostap (Perry Lopez) doivent supporter les sarcasmes et l'hostilité des étudiants polonais qui ne voient pas d'un très bon oeil la présence chez eux de deux jeunes cosaques. C'est alors qu'Andrei tombe amoureux de Natalie Dubrov (Christine Kaufmann), la fille d'un important gouverneur polonais qu'il finit par affronter au cours d'un combat qui s'achèvera sur la mort du gouverneur. Contraint de fuir tout les deux la ville, Andrei et Ostap reviennent deux ans plus tard chez leur père, nourris de leurs enseignements et de leurs forces au combat. Cette fois, Taras Bulba considère que leurs fils sont prêts à partir à la guerre, mais de son côté, Andrei n'arrive plus à oublier Natalie et jure de tout faire pour la revoir. La bataille finale contre les troupes du prince Grigory commence alors, une bataille dans laquelle Andrei devra choisir entre sa patrie et son amour impossible pour Natalie.

Batailles épiques, romance, action, aventure, émotion, 'Taras Bulba' contient toutes les recettes d'un grand divertissement hollywoodien classique, réalisé par un Jack Lee Thompson en petite forme mais qui sait incontestablement filmer des grandes scènes de bataille spectaculaire (la bataille finale au bord du précipice est restée mémorable!). Comme d'habitude, Yul Brynner s'impose par son charisme dans le rôle du célèbre Taras Bulba, chef des troupes cosaques, donnant la réplique à Tony Curtis qui semble par moment voler la vedette à Yul Brynner. La romance impossible entre Andrei et Natalie évoque bien évidemment le 'Romeo & Juliette' de Shakespeare, duquel le film a hérité de cette intrigue de deux amants séparés par deux familles/peuples ennemis. Ici, on nous parle de patrie, de liberté, d'amour, de famille, le tout berçant dans le style épique typique des grosses productions hollywoodiennes des années 60. On regrettera le manque d'idée dans la mise en scène très routinière de Jack Lee Thompson et l'on pourra aussi critiquer certaines longueurs dans le film (les scènes de fêtes cosaques sont parfois très ennuyeuses et répétitives). Mais au final, 'Taras Bulba' s'impose malgré tout comme un grand classique du cinéma épique hollywoodien des années 60!

Franz Waxman, l'un des grands représentants du 'Golden Age' hollywoodien, signe pour 'Taras Bulba' une grande partition symphonique mêlant aventure épique, héroïsme et romance. Avec son style symphonique inspiré du postromantisme allemand et ses influences européennes, Franz Waxman nous convie ici à une grande aventure où les thèmes occupent une place majeure. On trouve ainsi, dès la traditionnelle ouverture, un premier thème héroïque associé aux cosaques et qui sera développé durant les principales scènes de bataille. Un autre thème aux accents plus orientaux, pourrait presque s'apparenter à un motif de rapsodie classique, tandis que le troisième thème n'est autre que le traditionnel 'Love Theme' qui occupera à son tour une place non négligeable au sein de la partition de Waxman. On trouvera même par la suite un quatrième thème plus majestueux et nostalgique évoquant le combat des cosaques pour leur patrie. A noter que, pour les besoins du film, le compositeur s'est intéressé à la musique populaire ukrainienne et a réutilisé quelques thèmes arrangés pour les besoins du film (un peu comme le fit Stravinsky dans 'le sacre du printemps'), thèmes qu'il a put découvrir et étudier au cour de ses périples en URSS et en Ukraine (Franz Waxman fut à l'époque le tout premier chef d'orchestre américain à venir diriger des concerts en Russie!). L'ouverture résume à elle toute seule tout l'esprit de la composition de Waxman, à la manière d'une grande ouverture d'opéra classique: ce qui frappe à la première écoute, c'est ce tempo de danse/scherzo que l'on retrouvera tout au long du film dans les scènes de bataille, un rythme proche d'une polka à la russe écrite ici d'une manière quasiment parodique, Waxman s'appropriant le folklore ukrainien pour nous en donner une vision plus occidentalisée avec un second degré tout à fait caractéristique de la partition de 'Taras Bulba'. On est ici très proche du style de la célèbre 'danse du sabre' du ballet 'Gayaneh' d'Aram Khatchatourian, qui a sans aucun doute servi ici d'influence musicale majeure pour la composition de 'Taras Bulba'. Waxman s'approprie ainsi le style sautillant et dansant de la 'danse du sabre' et nous en propose une variante plus aventureuse, où les orchestrations étoffées typiques du compositeur rivalisent avec l'énergie et le brio de cette musique qui ne se prend pas trop au sérieux mais juste ce qu'il faut. En tout cas, à la première écoute, on est surpris par ce côté quasiment parodique de la musique même si le souffle de l'aventure vibre déjà à l'écoute des premières secondes de l'excellente 'Ouverture'.

Le 'Love Theme' est quand à lui très classique d'esprit, avec ses cordes lyriques et sa mélodie que l'on mémorise aisément dès la première écoute dans le film. Plutôt que d'évoquer la difficulté de la romance entre Andrei et Natalie, Franz Waxman a préféré opter pour une approche plus mièvre très premier degré, une approche fort conventionnelle qui peut décevoir mais qui apporte néanmoins une certaine poésie gentillette au film de Jack Lee Thompson. Par la suite, au cours d'une scène intime entre les deux amants, Waxman nous proposera même une version vocale de ce thème chanté par un choeur mixte et accompagné par l'orchestre dans le style d'une véritable sérénade classique. La naissance d'Andrei ('Birth of Andrei') permet au compositeur de créer une ambiance plus nostalgique avec cordes et vents paisibles qui permettent à Waxman de développer ses harmonies modales traduisant la sensation de vivre à une époque lointaine (ici, le 16ème siècle). 'The Sleighride' évoque à son tour la scène où Andrei côtoie Natalie à Kiev. Ici, l'ambiance se veut plus légère et sautillante, plutôt bonne-enfant. On retrouve d'un certain côté le second degré de l'ouverture mais en nettement plus volontaire ici, Waxman évoquant l'espièglerie et la vivacité d'Andrei et de son frère, traduite par le célesta, les cordes, les flûtes, les clarinettes, les hautbois, etc. On notera ici une série de jolies variantes aux cordes du 'Love Theme' qui semble ici prendre une dimension plus gracieuse, plus légère, évoquant la naissance de l'amour. A noter au passage que les enseignants de l'école de Kiev sont représentés quand à eux avec des bassons plus froids et plus rigides, qui contrastent avec la légèreté et l'enthousiasme quasi enfantin de la musique liée aux deux jeunes frères. C'est alors avec un certain plaisir que l'on découvre 'Chase at Night', superbe morceau d'action reposant sur une écriture particulièrement rythmée et virtuose des cordes pour la scène où Andrei et Ostap sont poursuivis à l'école de Kiev la nuit. Le danger est ici suggérée par les différents pupitres de l'orchestre, à commencer par ces cordes virtuoses du plus bel effet de ce contrepoint des cuivres, des percussions et des vents. Waxman semble décidément très à l'aise dans l'écriture de ces morceaux d'action qui semblent ne pas avoir pris une seule ride, et que le compositeur sait aérer en y apportant un peu de relief, un élément qui manque cruellement dans certaines grandes fresques symphoniques hollywoodiennes de l'époque, souvent trop massives et trop monotones.

On appréciera le style lyrique des cordes de 'No Retreat' tandis que 'Leaving Home' évoque le thème patriotique et mélancolique associé aux cosaques, toujours développé par les cordes et les vents avec une certaine grâce mélodique fraîche et simple, thème que l'on retrouvera dans toute sa simplicité dans 'The Wishing Star'. De son côté, 'Ride to Dubno' évoque la chevauchée des cosaques en direction de la ville du prince Grigory. C'est l'occasion pour le compositeur de reprendre le style dansant à la Khatchatourian de l'ouverture tout en développant ici le thème héroïque associé aux troupes de Taras Bulba. Une fois encore, on est pratiquement étonné du second degré quasiment parodique de ce scherzo dansant illustrant cette scène de chevauchée, un second degré qui pourrait presque rendre cette partie de la partition involontairement kitsch et vulgairement facile s'il n'y avait pas une réelle qualité de composition dans cette brillante musique symphonique, qui confère une certaine personnalité aux troupes cosaques. Commence alors la bataille de Dubno avec la scène du siège de la cité par les cosaques dans 'Black Pague', lorsque la ville commence à être ravagée par la famine et la peste. La musique se veut ici plus guerrière, plus agressive, avec des cordes plus aiguës et rapides, des cuivres, des vents agités, des percussions plus présentes, etc. Waxman évoque ici le début de la guerre contre les troupes du prince Grigory avec une certaine tension qui aboutira jusqu'à la bataille finale. Entre temps, 'Taras' Pledge' apporte une dimension plus dramatique à cette dernière partie de la partition pour la mort d'Andrei, les cordes accompagnant ici la scène dans un style de lamentation quasi funèbre. La partition atteint finalement son paroxysme dans le grand classique 'Battle of Dubno & Finale' (le morceau le plus célèbre de tout le score de 'Taras Bulba') où Waxman développe ses rythmes de danse à la russe avec un pupitre de cuivres et de percussions plus élargis pour renforcer l'excitation et l'intensité de cette bataille finale, le compositeur en profitant pour développer une dernière fois le thème héroïque des cosaques, avant le traditionnel final majestueux typiquement hollywoodien.

'Taras Bulba' est sans aucun doute l'une des partitions majeures de Franz Waxman qui, en 1962, à quelques années avant sa mort en 1967, n'avait encore rien perdu de tout son talent et son inspiration. Même si la partition semble avoir quelque peu vieillie à cause d'un second degré dont on peut se demander s'il est volontaire ou pas, 'Taras Bulba' n'en demeure pas moins l'une des oeuvres majeures de Waxman, une partition qui s'impose ici par la qualité, la fougue et la simplicité de ses thèmes et de ses mouvements orchestraux, refusant ici la sophistication chromatique d'un Bernard Herrmann ou le postromantisme massif et pompier d'un Miklos Rozsa ou d'un Alfred Newman. Franz Waxman signe pour le film de Jack Lee Thompson une partition d'aventure simple et efficace, qui apporte une énergie considérable au film, une partition orchestrale simple, honnête et réfléchie, dont la spontanéité nous charme dès la première écoute. A découvrir, si ce n'est pas déjà fait!

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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