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North by Northwest

Quentin Billard

Réalisé juste après « Vertigo », « North  by Northwest » (La Mort aux trousses) permit au grand Alfred Hitchcock  de nous offrir l’un de ses meilleurs films, ou du moins l’un de ses  films les plus connus, et aussi les plus accessibles. D’aucun diront  d’ailleurs que « North by Northwest » représente la quintessence même de  l’art hollywoodien dans son côté le plus spectaculaire et théâtral qui  soit, un pur divertissement en somme. Beaucoup considèrent d’ailleurs «  North by Northwest » comme l’un des premiers grands thrillers d’action  qui influencera par la suite toutes les productions de suspense musclé  des années 60 jusqu’à de nos jours - pour un film datant de 1959, ce  n’est quand même pas si mal ! « North by Northwest » raconte l’histoire  d’un paisible publicitaire nommé Roger Thornhill (Cary Grant). Ce  dernier rencontre alors des hommes qui le prennent pour un certain  George Kaplan. Les mystérieux individus qui travaillent pour le compte  de l’espion Phillip Vandamm (James Mason) l’enlèvent après l’avoir  drogué et essaient de le tuer en maquillant son meurtre en accident.  Mais Thornhill, se retrouvant alors au volant d’une voiture, reprend  finalement ses esprits à temps et réussit à échapper de peu à une mort  annoncée. Après avoir finalement réussi à semer ses poursuivants,  Thornhill va voir la Police et essaie de raconter son histoire mais en  vain, personne ne semble le croire. Pire encore, les choses s’aggravent  lorsqu’on continue de le prendre pour George Kaplan et qu’il est  finalement accusé d’avoir commis un meurtre aux Nations Unies.  Désormais, Thornhill doit fuir et trouver un moyen de prouver son  innocence. Il croisera alors le chemin de la belle Eve Kendall (Eva  Marie Saint), une agente de la CIA qui traque Vandamm sans relâche.  Thornhill tombera très rapidement amoureux d’Eve, et pour elle, il sera  prêt à rentrer dans le jeu et à servir d’appât à Vandamm pour permettre  son arrestation et réussir ainsi à prouver son innocence. « North by  Northwest » réunit donc toutes les recettes habituelles du style  d’Hitchcock dans l’un de ses films les plus célèbres - et peut être  aussi l’un des plus populaires - curieusement, c’est peut être aussi  l’un de ses thrillers les moins psychologiques, davantage orienté ici  sur le suspense et l’action ! A ce sujet, la séquence de l’attaque de  l’avion dans le champ fait assurément partie des grandes scènes  d’anthologie du cinéma, une scène entièrement tournée sans musique et  sans dialogues (avec juste les bruitages), le genre de séquence célèbre  que l’on continue toujours d’étudier même encore aujourd’hui dans les  écoles de cinéma du monde entier. Grâce à une mise en scène extrêmement  riche et élaborée, un scénario habile d’Ernest Lehman et une performance  remarquable de Cary Grant, Eva Marie Saint et James Mason, « North by  Northwest » est devenu un classique incontournable du cinéma, un  divertissement haut de gamme réalisé par le maître du suspense, Alfred  Hitchcock, alors plus que jamais au sommet de sa forme lorsqu’il tourne  ce film en 1959.


Alfred Hitchcock confia de nouveau la musique de  « North by Northwest » à son grand complice, Bernard Herrmann, qui  signe là l’une de ses plus grandes partitions pour un film d’Hitchcok -  et peut être même l’une de ses partitions les plus accessibles et les  plus populaires. A l’instar du film lui-même, la musique d’Herrmann  s’avère être ici résolument plus accessible et moins fantaisiste ou  torturée que ce que le compositeur fait habituellement sur les films  d’Hitchcock. Néanmoins, l’ensemble conserve toujours ce suspense et  cette tension omniprésente du début jusqu’à la fin du film. Mais à  l’inverse de certaines partitions plus anciennes du compositeur, celle  de « North by Northwest » s’impose avant tout par la richesse de ses  différents thèmes, développés ici à la manière de leitmotive wagnériens,  chose rare chez Herrmann lorsqu’on sait que le compositeur n’a jamais  beaucoup apprécié le système du leitmotiv, comme le disait Herrmann  lui-même:


«  La phrase brève présente certains avantages. Je n’aime pas le système  des leitmotive. N’oubliez jamais que les spectateurs n’écoutent qu’à  moitié, et la phrase brève est plus facile à suivre. La raison pour  laquelle je n’aime pas les mélodies, c’est qu’elles doivent s’élaborer à  travers huit ou seize mesures, ce qui vous étouffe en tant que  compositeur. »Bernard Herrmann


Ainsi,  Herrmann résume parfaitement sa pensée au sujet des thèmes musicaux,  une pensée qui coïncide parfaitement avec le travail effectué par le  compositeur sur « North by Northwest », puisque les thèmes de sa  partition sont plutôt courts et concis, et donc plus facile à mémoriser  pour le spectateur. D’ailleurs, paradoxalement, la musique de « North by  Northwest » s’avère pourtant être l’une des partitions les plus  thématiques du compositeur pour un film d’Hitchcock. Probablement est-ce  aussi la raison pour laquelle cela reste l’une des oeuvres les plus  accessibles et les plus populaires du compositeur. Ainsi donc, sa  partition s’articule autour d’une série de thèmes, avec pour commencer  le thème principal associé à l’idée de la course poursuite tout au long  du film, un thème qui prend en fait des allures de fandango, une danse  traditionnelle espagnole d’origine andalouse écrite ici dans une mesure à  3/8 (« Overture »). Ce thème est exposé pour la première fois dans le  générique de début, avec une orchestration très fouillée comme toujours  chez le compositeur : bois, cors, trompettes en sourdine, cordes,  tambourins et percussions diverses, etc. Le motif rythmique de cette  fandango est ainsi répété plusieurs fois, et se distingue par ses deux  phrases : une première à 3 temps, et une seconde avec une hémiole  (procédé consistant à placer un rythme binaire dans une mesure ternaire,  comme c’est le cas ici). Le décalage entre la première et la seconde  partie de ce motif rythmique apporte une dynamique particulière au thème  dans le film, une alchimie musicale qui complète harmonieusement le  rythme du film. Niveau thème, « North by Northwest » contient ainsi un  Love Theme (« Conversation Piece ») particulièrement romantique et suave  pour la romance entre Thornhill et Eve dans le film. A noter d’ailleurs  que ce très beau Love Theme est quasiment calqué sur un autre thème  romantique d’une oeuvre précédente du compositeur, « White Witch Doctor »  (La Sorcière Blanche) pour le film de Henry Hathaway datant de 1953. Le  dit thème rappelle aussi le « Tristan & Isolde » de Wagner, une  influence majeure chez le compositeur que l’on ressentait déjà  brillamment dans la partition de « Vertigo ». Herrmann nous offre aussi  un motif de suspense accompagnant les moments de tension du film -  lorsque les hommes de Vandamm recherchent Thornhill par exemple. Ce  motif associé à Vandamm et interprété bien souvent aux cordes est  emprunté à la partition de « On Dangerous Ground » (1952) et apparaît  clairement dans « The Cafeteria » ou « Kidnapped ». Il se distingue  ainsi par sa mélodie chromatique plutôt menaçante et inquiétante. Enfin,  un motif secondaire est entendu bien souvent avec le thème lui-même, un  motif qui se distingue par ses notes rapides répétées, parfois aux cors  et parfois aux cordes, accentuant là aussi la dynamique de certaines  séquences - et notamment les scènes où Thornhill voyage ou se déplace  d’un lieu à un autre. On l’entend d’ailleurs très clairement dans « The  Streets ».


La musique d'Hermann suit parfaitement le suspense et  la tension du film, avec, comme toujours chez le compositeur, des  orchestrations très élaborées et très riches, des thèmes d’une grande  qualité - le célèbre fandango dansant et frénétique de l’ouverture - et  des harmonies bien souvent complexes, à la fois tonale, modales et  parfois atonales (comme souvent chez le compositeur). Un morceau comme «  Kidnapped » est assez représentatif du compositeur : une musique aux  notes tenues, à l’ambiance latente, dominée par des clarinettes graves -  une marque de fabrique du compositeur. Herrmann développe ici le thème  menaçant de Vandamm aux cordes. La fandango principale revient dans la  fameuse scène de la voiture dans « The Wild Ride », sans aucun doute  l’une des musiques de course poursuite les plus spectaculaires du  compositeur, avec son orchestre sans cesse mouvant et ses nombreux  effets de dialogue/réponse entre les différents groupes instrumentaux de  l’orchestre : un grand moment de musique de film - dans la scène, la  musique est d’ailleurs magnifiquement mise en valeur, sans dialogue,  avec juste les quelques sons des crissements de pneu de la voiture. Le  thème de Vandamm reste omniprésent comme pour rappeler le danger  constant qui pèse sur Thornhill (« The Return »). Herrmann, qui déclara à  plusieurs reprises ne pas apprécier la technique du leitmotiv, tombe  pourtant ici dans une construction similaire au système des leitmotive  wagnériens. Le compositeur développe constamment ces différents thèmes,  qu’il s’agisse de variantes brèves ou discrètes (« The Elevator » et ses  clarinettes empruntées au motif rythmique du fandango) ou parfois plus  denses et complexes (« The U.N » et ses cordes en trémolos empruntées au  thème de Vandamm). Le thème de Vandamm est d’ailleurs omniprésent  pendant une bonne partie de la musique, comme nous le rappelle «  Information Desk », un thème obsédant et véritablement impressionnant  dans le film, apportant une noirceur et une tension intense dans le  film.


Le thème romantique apparaît dans « Interlude » avec sa  très belle mélodie de hautbois doublée ici d’un ostinato rythmique de  cordes qui continuent d’apporter une énergie assez étonnante pour un  Love Theme de ce genre (même chose dans le très romantique « Duo »).  Ici, comme pour les autres morceaux, Herrmann continue d’accentuer  l’idée du rythme pour rappeler que tout n’est pas encore terminé pour  Thornhill est qu’il est loin d’être sauvé. On retrouve d’ailleurs un  ostinato de cordes similaire dans l’entêtant « Detectives » et jusqu’à «  Conversation Piece », ces trois morceaux ne formant en fait qu’une  seule musique dans le film. Le thème romantique devient ainsi beaucoup  plus présent dans toute la seconde partie du film, comme le rappelle «  The Station » où la mélodie est reprise aux clarinettes aux côtés du  motif secondaire et du thème de la fandango. Le thème romantique revient  de façon plus poignante dans le très beau « Goodbye » où il est confié à  un ensemble de clarinettes. L’action n’est pas en reste avec l’excitant  « The Knife » qui se conclut sur une nouvelle allusion au thème  principal, ou le très agité « The Crash ». On notera d’ailleurs, vers la  fin du film, la façon dont Herrmann s’amuse à développer successivement  un même thème d’un morceau à un autre, comme c’est le cas dans « The  Pad & Pencil », « The Police », « The Auction » et « The Airport »,  qui développent tous les trois le motif secondaire toujours aussi  énergique et rythmé par ses notes rapides répétées inlassablement. La  tension continue de monter dans la dernière partie du film avec des  morceaux plus agités tels que « The Gates » ou le climax d’action, « The  Stones Face », pour la poursuite finale sur le Mont Rushmore. Herrmann  reprend ici les formules rythmiques du fandango accentué par des  percussions plus agressives et très présentes. « On The Rocks » et « The  Cliff » accompagnent ainsi avec brio l’affrontement final au son d’un  fandango plus frénétique que jamais.


Avec « North by Northwest »,  Bernard Herrmann signe donc l’une de ses meilleures partitions pour un  film d’Alfred Hitchcock, une partition cohérente de bout en bout, servie  par une série de leitmotive très soignés et particulièrement bien  développés tout au long du film. Moins psychologique que « Vertigo » et  moins dense que « Psycho », « North by Northwest » est de loin l’une des  partitions les plus accessibles du compositeur pour un film  d’Hitchcock, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il s’agit de la moins  intéressante, bien au contraire. Bernard Herrmann démontre ici toute  l’étendue de son savoir-faire et nous rappelle son goût sûr pour des  orchestrations très personnelles et des thèmes concis et mémorables. Sa  musique apporte une tension et une ambiance très forte à l’écran, une  partition qui pourrait d’ailleurs être considérée comme un pur modèle de  musique de thriller à l’hollywoodienne !

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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