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King of Kings

Quentin Billard

Remake du film homonyme réalisé par Cecil B. DeMille en 1927,  ‘King of Kings’ (Le roi des rois), le film de Nicholas Ray est un  classique dans le genre des péplums bibliques. Produit par la MGM et  Samuel Bronston, ‘King of Kings’ est l’unique incursion du studio et du  célèbre producteur hollywoodien dans le domaine du péplum biblique, le  film n’ayant d’ailleurs jamais été récompensé d’une quelconque façon.  L’histoire du Christ a été porté à de multiples reprises au cinéma, à  tel point que l’on pouvait même se demander ce que ‘King of Kings’  allait bien pouvoir encore apporter à ce célèbre récit extrait du  Nouveau Testament. Il faut dire que le genre du péplum biblique était  particulièrement à la mode à la fin des années 50 et au début des années  60 à Hollywood, ‘King of Kings’ ayant sans aucun doute motivé la United  Artists à produire quatre ans plus tard le somptueux ‘The Greatest  Story Ever Told’ de George Stevens, qui reste à ce jour la plus belle  adaptation cinématographique jamais réalisée à cette époque sur  l’histoire de Jésus Christ. Il faut dire que le film est une exception  dans la carrière de Nicholas Ray puisque ce dernier s’est spécialisé  tout au long de sa vie dans les films noirs et n’avait encore jamais  abordé un film épique de ce genre. On ne sait d’ailleurs pas trop ce qui  a motivé le réalisateur a tourné ce remake du film homonyme de Cecil B.  DeMille, le réalisateur s’en tirant moyennement avec une réalisation  correcte mais un manque d’humilité, de profondeur et une série  d’intrigues secondaires totalement inutiles. On ne comprend par exemple  pas pourquoi Ray a tenu à développer le personnage de Barabbas en  parallèle de l’histoire du Christ, le réalisateur prenant quelques  libertés étranges et discutables par rapport au récit d’origine où il  n’est question du voleur Barabbas (ici représenté comme le chef d’une  armée de juifs rebelles contre les troupes romaines) que lors de la  scène où le Christ est condamné par la foule qui demande de relâcher  Barabbas. On ne comprend pas non plus pourquoi le réalisateur perd son  temps sur le personnage de Salomé (Brigid Bazlen) ni même de Jean le  Baptiste (incarné par l’excellent Robert Ryan), qui, bien qu’un  personnage capital dans la première partie de l’histoire du Christ – il  apparaît pour la première fois dans le film lors de la scène du baptême  dans les eaux du Jourdain, avec le regard bleu perçant et radieux de  Jeffrey Hunter, idée que George Stevens reprendra dans une scène  similaire pour ‘The Greatest Story Ever Told’ – est curieusement un peu  trop développé dans l’histoire, à tel point que l’on se demande parfois  si l’on regarde un film sur la vie du Christ ou sur celle de Jean le  Baptiste.


L’histoire reste quand à elle toujours la même, à  savoir la naissance de Jésus dans l’étable avec les trois rois mages, en  passant par la rencontre entre Jean le Baptiste (Robert Ryan) et Jésus  (Jeffrey Hunter) dans les eaux du Jourdain, sans oublier la trahison de  Judas (Rip Torn), la crucifixion et la résurrection. Mais à l’inverse de  ‘The Greatest Story Ever Told’, ‘King of Kings’ accumule donc les  artifices et nous propose une version un peu courte et estropiée du  récit du Christ. Malgré sa longueur (2h48 environ), le film délaisse  curieusement certains moments pourtant importants dans l’histoire du  Christ comme la scène de la colère de Jésus dans le temple ou la  condamnation du Christ par le peuple qui réclame sa crucifixion auprès  de Ponce Pilate (à noter que les scènes avec les apôtres sont  injustement réduites à leur tour au strict minimum!). Ces moments sont  toujours suggérés et passés sous forme d’ellipses un brin maladroites.  On peut penser que le réalisateur a du être contraint de faire de  nombreuses coupures pour raccourcir la durée du film qui, s’il devait  raconter l’intégralité de l’histoire, durerait 3 ou 4 heures de plus.  Pourtant, les choix scénaristiques du réalisateur sur ‘King of Kings’  sont bien souvent des erreurs qui tendent à diminuer la qualité d’une  grosse production biblique célèbre et pourtant pas si inspirée qu’elle  n’y paraît. Par exemple, certains ont trouvés que Jeffrey Hunter  manquait de passion et de profondeur dans le rôle de Jésus Christ, et  qu’il aurait sans aucun doute été préférable de confier ce rôle à Robert  Ryan, qui arrive véritablement à tirer son épingle du jeu dans le rôle  de Jean le Baptiste. Alors que Max Von Sydow avait su offrir toute la  chaleur humaine et la passion à son Christ dans ‘The Greatest Story Ever  Told’, Jeffrey Hunter campe un Jésus mollasson baignant dans une mise  en scène académique et finalement peu inspirée. Le comble reste sans  aucun doute les quelques scènes d’action belliqueuses qui viennent  pimenter le film en faisant perdre toute crédibilité au récit d’un  individu qui parle pourtant de paix et d’amour entre les hommes. On se  demande par exemple quelle était l’utilité de la scène où les soldats  romains écrasent les partisans rebelles de Barabas devant les portes du  temple de Jérusalem vers la fin du film, alors qu’il aurait été  préférable de montrer à ce moment là la fameuse colère de Jésus contre  les marchants du temple, curieusement passée sous silence dans le film.  Idem pour la scène de l’embuscade de Barabbas vers le début du film,  avec une scène d’affrontement entre le voleur et un légionnaire romain à  peine digne d’une série-B d’action hollywoodienne. Une fois encore, que  vient faire là cette scène? Qu’apporte t’elle vraiment au récit?  Pourquoi ne pas privilégier le Christ lui-même au lieu de perdre  systématiquement une bonne dizaine de minutes à chaque fois sur d’autres  personnages secondaires dont on se fout royalement dans le contexte de  l’histoire de Jésus Christ, d’autant que ces scènes viennent souvent  parasiter celles du Christ et de ses précieux enseignements d’amour et  de paix (où est la cohérence scénaristique dans tout cela?). On  s’imagine donc sans mal les producteurs demander à Nicholas Ray de leur  offrir un nouveau ‘El Cid’ version biblique, une vraie trahison par  rapport à l’histoire d’origine du Nouveau Testament, et aussi par  rapport au talent de Nicholas Ray, qui accouche ici d’un film  académique, bancal et totalement dépourvu de personnalité! Du coup, on  se demande comment le film a put obtenir son statut de classique au fil  du temps, alors que dans le même genre ‘The Greatest Story Ever Told’  montrait l’histoire du Christ sous sa vraie nature, sans artifice ni  gros effets de mise en scène hollywoodienne. Il manque à ‘King of Kings’  une certaine profondeur, une certaine intensité et surtout une  véritable passion dans le récit du Christ. Il ne paraît donc pas injuste  de penser que ce film est une sorte de ‘corruption’ hollywoodienne de  l’histoire du Nouveau Testament, une erreur qui sera vite corrigée  quatre ans plus tard avec le chef-d’oeuvre de George Stevens!


Si  le film est en lui-même particulièrement décevant, il n’en est  absolument pas de même pour la partition symphonique/chorale de Miklos  Rozsa, sans aucun doute l’un des grands chef-d’oeuvre du compositeur  qui, en 1961, était plus que jamais au sommet de son art lorsqu’il signa  la musique du film de Nicholas Ray. Evidemment, à l’instar du film,  Rozsa a choisi de faire dans le massif et le spectaculaire en nous  offrant une grande fresque symphonique démesurée et passionnante, un  score qui évoque la puissance de l’histoire du Christ à travers une  série de thèmes inspirés et mémorables. Ce sont d’ailleurs par la  qualité et le nombre impressionnant de thèmes que le score de Rozsa  s’impose littéralement au fil des écoutes dans l’esprit de l’auditeur,  créant un impact majeur autant à l’écoute que sur les images du film de  Nicholas Ray. Introduit par des cuivres amples et des cloches, le  ‘Prelude’ accompagne ainsi le générique de début sur le ton de l’épique,  de la grandeur et de la majestuosité en dévoilant l’inoubliable thème  principal associé au Christ. Thème triomphant et royal, le leitmotiv  associé à Jésus Christ est confié à des cuivres massifs sur fond de  choeurs grandioses qui renforcent ce sentiment épique de grandeur. Aucun  doute possible, le spectaculaire thème principal, qui marque  irrémédiablement les esprits même après une première écoute, annonce une  énorme partition symphonique grandiose et inspirée, que l’on peut déjà  considérer comme un grand classique dès sa magnifique ouverture! Après  le côté spectaculaire de ce superbe ‘Prelude’, Rozsa continue à faire  dans le massif avec ‘Roman Legions’ et son thème de marche pompeux  associé aux légions romaines au début du film, lors de l’arrivée de  Pompée à Jérusalem. On retrouve ici le Rozsa des musiques  traditionnelles de péplum comme ‘Ben-Hur’, ‘Quo Vadis’ ou ‘Julius  Caesar’, un genre qui paraît aujourd’hui un peu daté mais qui passe  pourtant magnifiquement bien dans le contexte de ‘King of Kings’. A  noter que le thème réapparaît de façon sombre et menaçante dans ‘The  Elders/Sanctuary’ lorsque Pompée ravage le sanctuaire au début du film,  atmosphère sombre qui se poursuit dans ‘The Scrolls/Subjuguation’ qui  développe au passage un nouveau thème d’ambiance hébraïque associé à  Jérusalem, malmené ici par des orchestrations rythmées navigant entre  cordes pesantes et cuivres graves illustrant la brutalité des romains.  ‘Road to Bethlehem/The Nativity’ s’impose quand à lui avec une ambiance  plus adoucie en annonçant le très beau thème associé à Marie lors de la  scène de la nativité, joué ici par des violoncelles. Le thème de la  nativité se veut quand à lui féerique et empreint d’une magie pleine  d’innocence et de joie, avec sa très belle mélodie gracieuse sur fond de  choeurs féminins et d’un orchestre ample sur un rythme de sicilienne,  le tout rythmé sur fond de cloches, de cordes, de vents et carillon,  avec un côté légèrement impressionniste dans la façon dont Rozsa utilise  ses différentes couleurs instrumentales. A contrario, on appréciera  l’incroyable brutalité orchestrale de la scène du massacre des enfants  dans ‘The Slaughter of Innocents’ et ses variantes assombries du thème  hébraïque, qui rappelle à quel point Rozsa a toujours été un grand  maître des musiques d’action et des déchaînements orchestraux.


L’atout  majeur de ‘King of Kings’ est de développer cette alternance  systématique entre passages lyriques, doux et émouvants et déchaînements  orchestraux en règle dans un style plus massif et véritablement  ‘péplum’. Ainsi, après la brutalité de ‘The Slaughter of Innocents’, on  ne peut qu’apprécier la douceur réconfortante de ‘Joseph and Marie’ avec  sa très belle reprise du thème de Marie par un hautbois sur fond de  cordes, harpe et vents. Suivant sa logique de l’alternance douceur et  brutalité, Rozsa nous offre tout de suite après l’apaisé ‘Joseph and  Marie’ une nouvelle marche romaine tonitruante pour ‘Pontius Pilate’s  Arrival’ qui évoque massivement l’arrivée du nouveau commandeur romain  Ponce Pilate à Jérusalem à grand renfort de tambours et de cuivres  agressifs sur fond de rythmes martiaux (on retrouvera ce thème dans les  passages plus agités du reste de la partition). Impossible alors de  passer à côté du superbe ‘Revolt/Barabbas’s Escape’ pour ce qui reste  incontestablement l’un des meilleurs morceaux d’action du score de ‘King  of Kings’, illustrant la séquence où Barabbas et ses hommes tendent une  embuscade aux romains. Le thème de Ponce Pilate, développé dans un  premier temps, s’envole par la suite pour un nouveau déchaînement  orchestral excitant où Rozsa développe continuellement un motif d’action  sur fond de percussions brutales et de cuivres virtuoses. On reconnaît  d’ailleurs bien là ce souci toujours constant chez Rozsa du contrepoint  et des développements thématiques et motiviques totalement  indissociables de son style, preuve d’un immense savoir-faire et d’une  écriture orchestrale remarquable, qui ont de Miklos Rozsa un grand nom  du ‘Golden Age’ hollywoodien. Si vous adorez les musiques d’action  massives, virtuoses et totalement frénétiques, les 4 minutes 44 de  ‘Revolt/Barabbas’ Escape’ sont donc faites pour vous! A l’écoute d’une  musique aussi agressive et frénétique, difficile de croire que l’on  écoute la musique d’un film sur l’histoire du Christ, mais quelle  efficacité, quel impact dans le film!


‘John the Baptist’  développe quand à lui un nouveau leitmotiv associé cette fois-ci à Jean  le Baptiste, thème de cordes jouées tout en quintes parallèles dans une  ambiance plus rustique et moyenâgeuse, thème juxtaposé tout au long du  morceau à un autre motif plus sombre aux sonorités vaguement orientales  évoquant la menace des romains à Jérusalem et aux alentours, menace qui  pèse sur Jean le Baptiste alors qu’il ne cesse d’attiser les foules et  de proclamer la venue du Messie. Ce thème en quintes parallèles est  repris dans ‘Baptism of Christ/Sadness and Joy’ pour la scène où Jean  baptise Jésus dans les eaux du Jourdain. Depuis le ‘Prelude’, c’est la  première fois où l’on réentend à nouveau le magnifique thème du Christ,  exposé ici de façon plus douce et quasi féerique avec ses cordes en  trémolos, ses vents, son vibraphone et ses choeurs féminins symbolisant  la pureté paisible et mythique du personnage, suivi d’une nouvelle  reprise du thème de Marie confié à un violoncelle mélancolique du plus  bel effet pour le très beau ‘Sadness and Joy’. On entre alors dans la  scène où le Christ se fait tenter par le diable dans le désert avec ‘The  Last Temptation of Christ’, un morceau particulièrement sombre et un  peu à part puisqu’il possède la particularité d’avoir été écrit à partir  d’une série dodécaphonique (de 12 sons) suivant la théorie sérielle  instaurée au début du 20ème siècle par Arnold Schoenberg. La noirceur du  morceau permet alors à Rozsa de reprendre le thème du Christ dans une  version minorisée qui évoque les tourments de Jésus lors de sa traversée  du désert, tandis que la partie associée aux diables recèle un vrai  petit bijou de recherche sonore et d’instrumentation avec des  clarinettes grimpantes exposant la série de 12 sons sur fond de nuage  sonore plus chaotique, et un motif menaçant de 5 notes associé au  diable. C’est bien la première fois que Rozsa se laisse ‘tenter’ par une  écriture plus avant-gardiste et atonal, lui qui a toujours été très  proche tout au long de sa carrière du style romantique et postromantique  allemand de la fin du 19ème siècle, preuve que, décidément, le  compositeur était plus que jamais au sommet de son inspiration et de son  art lorsqu’il écrivit la partition de ‘King of Kings’. Il confère en  tout cas à cette scène une dimension quasi angoissante et torturée du  plus bel effet, une approche musicale viscérale qui hante cette séquence  et qui reste un autre morceau incontournable de la partition! Le thème  du Christ réapparaît de manière plus triomphante à la fin du morceau,  évoquant la grandeur d’âme et la puissance du personnage, qui a réussi à  surmonter cette terrible épreuve et à mettre en échec Satan dans le  désert. Dès lors, le thème du Christ, repris dans ‘The Chosen’ et le  magnifique ‘Miracles’ (scène des miracles amplifiée par des choeurs  magnifiques) restera omniprésent tout au long du film, alternant avec  les nombreux autres thèmes avec, comme toujours, cette même fougue  orchestrale.


Les traditionnels morceaux de fausse ‘source music’  sont quand à eux toujours présents, comme en témoigne la danse orientale  un brin stéréotypée de ‘Herod’s Feast’ pour la scène du festin d’Herod,  ‘Jugglers and Tumblers/Herod’s Desire’ pour une scène similaire, sans  oublier la fameuse danse de Salomé dans ‘Salome’s Dance’, superbe danse  orientale frénétique qui rappelle inévitablement la danse de l’opéra  ‘Salomé’ de Richard Strauss. Ces morceaux restent bien évidemment  fonctionnels et n’ont pas beaucoup de poids par rapport aux autres  morceaux du score, comme la magnifique reprise apaisante du thème du  Christ dans le fiévreux ‘Cast out the Demon’ (scène où Jésus chasse le  démon du corps d’un homme possédé) ou l’imposant ‘Mount Galilee/Sermon  on the Mount/Love Your Neighbor’ illustrant la scène du sermon du Christ  sur la montagne. C’est dans ce très long morceau (près de 8 minutes)  que Rozsa développe un nouveau thème particulièrement magnifique, que  l’on pourra qualifier de thème de Dieu ou thème de la foi, lorsque Jésus  évoque le royaume de Dieu et dispense son message de paix et d’amour  envers son prochain. A noter que la version de ce morceau sur le CD est  quand différente, la version film de cette séquence correspondant en  réalité au début de la pièce ‘Overture’ au tout début du premier disque,  avec ses choeurs grandioses et ses cloches en ouverture. Le thème de  Dieu est développé dans le magnifique ‘The Lord’s Prayer’ où il  s’apparente à une mélodie de style choral protestant avec un certain  classicisme d’écriture et des choeurs grandioses et émouvants. On se  rapproche alors imperturbablement de la dernière partie du film qui  s’assombrit considérablement. Ainsi, un morceau comme ‘The Disciples’  est très représentatif de ce changement d’ambiance. Après une première  partie pleine d’espoir avec une mélodie de cordes gracieuse associée aux  disciples du Christ (et par la suite en contrepoint au thème de Jésus  aux violoncelles), la seconde partie navigue entre inquiétude et espoir,  Rozsa nous annonçant clairement ce qui va suivre. Ainsi, ‘Barabbas’s  Plan’ développe le thème de Barabbas de façon sombre et menaçante alors  que le voleur prépare ses plans d’insurrection contre les romains,  tandis que ‘Jesus Enters Jerusalem’ accompagne la scène de l’entrée du  Christ dans le temple de Jérusalem suivit de la scène où la rébellion de  Barabbas est écrasée et que le chef des rebelles juifs est arrêté par  les romains (il s’agit du plus long morceau de tout l’album, la pièce  avoisinant ici les 14 minutes). Si la première partie se veut plus  festive et cérémoniale, la seconde partie est nettement plus sombre et  brutale avec un nouveau déchaînement orchestral du plus bel effet. Le  morceau se conclut sur la scène du célèbre dernier souper du Christ, la  cène, accompagnée dans ‘The Last Supper’ de façon très minimaliste par  un choeur a cappella à l’unisson, Rozsa ayant ainsi opté pour une  approche plus sobre et dénudée pour cette fameuse scène en délaissant  temporairement la grosse artillerie lourde. La noirceur de ‘Judas Sees  Caiphas/Gethsemane’ évoque clairement l’issue dramatique du film avec la  trahison de Judas tandis que l’arrestation de Jésus dans ‘Agony in the  Garden/Judas’ Kiss’ nous permet de retrouver la version assombrie et  minorisée du thème du Christ telle qu’on avait déjà pu l’entendre dans  le très sombre ‘The Last Temptation of Christ’, suivi ici du très beau  thème de Dieu qui évoque la foi imperturbable de Jésus en son père, et  ce même aux moments les plus sombres de son existence. La tension monte  inévitablement dans le brutal ‘The Scourging of Christ/Crown of Throns’  lorsque les romains torturent Jésus, débouchant sur le dramatique ‘Via  Doi Orosa/Christ Bearing his Cross’ lorsque le Christ porte sa croix. La  scène est entièrement illustrée pendant plus de 9 minutes par des  cordes graves particulièrement pesantes et tourmentées, évoquant à  merveille le calvaire de Jésus et sa souffrance, le thème de Ponce  Pilate restant toujours très présent comme pour rappeler qu’il fut l’un  des responsables de sa condamnation. La scène sur la croix reste  dans le même ordre d’idée, extrêmement sombre et funèbre suivi d’un  morceau plus radieux et triomphant pour la scène de la résurrection,  avec une nouvelle très belle reprise du thème du Christ amplifié ici par  l’inévitable ‘Hosanna’, chant religieux de joie et de gloire interprété  ici par une chorale grandiose pour l’ascension du Christ dans les cieux  (suggérée habilement dans le film par un effet d’ombre sur une plage au  bord de la mer), idéal pour conclure cette partition en beauté, avant  un ‘Epilogue’ magnifique reprenant le thème de Dieu dans toute sa  grandeur et sa magnificence.


Vous l’aurez très certainement  compris, ‘King of Kings’ est un véritable monument musical dédiée à  l’immortel histoire de Jésus Christ extraite du Nouveau Testament.  Miklos Rozsa a donc opté, à l’instar des concepteurs du film, pour une  approche épique et massive du plus bel effet, qui réussit à merveille à  la superproduction de Nicholas Ray, apportant une grandeur et une magie  incontestable aux images du film. Loin de faire dans la subtilité et la  retenue, Rozsa nous rappelle qu’il est décidément un spécialiste des  musiques de péplum et des grandes fresques symphoniques épiques et  démesurées. Maniant de nombreux thèmes avec une aisance rarement égalée,  des orchestrations somptueuses et un souci constant du contrepoint et  d’une écriture orchestrale toujours très soutenue, Rozsa nous livre un  véritable chef-d’oeuvre de la musique de film, un score gigantesque et  100% épique qui ne peut laisser indifférent, tant sa puissance et sa  grandeur égale à merveille celle de l’histoire du Christ. Quelques  années après l’immense ‘Ben-Hur’, Miklos Rozsa confirmait qu’il était  décidément l’un des maîtres incontesté du ‘Golden Age’ hollywoodien en  nous offrant un nouvel opus symphonique/choral totalement inspiré, dans  lequel le compositeur manie les ambiances et les différentes idées  musicales (contrepoint très soutenu, nombreux thèmes et développements,  richesse d’orchestration, intervention d’une série dodécaphonique pour  la scène du désert, choeurs religieux pour la cène et le final, etc.)  avec une maestria exemplaire. Si ‘Ben-Hur’ vous avait déjà captivé,  ruez-vous d’urgence sur ‘King of Kings’, qui s’avère être encore bien  plus spectaculaire et efficace. Les chef-d’oeuvres de la musique de film  sont rares, mais cette partition en fait définitivement partie!

by Quentin Billard 30 May, 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May, 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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