Blog Post

Ivanhoe

Quentin Billard

« Ivanhoe » est un grand classique du cinéma d’aventure  hollywoodien, réalisé par un spécialiste du genre, Richard Thorpe en  1952. Le film met en scène Robert Taylor dans le rôle du légendaire  seigneur saxon Wilfried d’Ivanhoé, un jeune chevalier fidèle au roi  Richard Coeur de Lion (Norman Wooland) en Angleterre au 12ème siècle. Le  pays est dominé par la tyrannie des Normands et du prince Jean (Guy  Rolfe), le frère de Richard qui profita ainsi de l’absence du roi  (occupé à mener les croisades en terre de Palestine) pour s’emparer de  son trône. Ivanhoé se retrouve sans le sou après avoir été renié par son  père Cédric (Finlay Currie). Désormais, s’il veut sauver son honneur,  Ivanhoé - qui a prêté serment auprès de son roi - jure de tout faire  pour réunir la somme de 150.000 marks d’argent que réclame Léopold V  d’Autriche pour la libération de Richard Coeur de Lion, qui a été fait  prisonnier sur le chemin le ramenant en Angleterre. Ivanhoé se lance  alors dans une quête chevaleresque pour retrouver son honneur, conquérir  le coeur de sa promise et libérer l’Angleterre du joug de la tyrannie  du prince Jean. « Ivanhoe » est donc une grosse production d’aventure en  Technicolor typique des films de cape et d’épée que produisit la MGM  dans les années 50. Inspiré du célèbre roman de Sir Walter Scott, «  Ivanhoe » marquera le début d’une série de films de cape et d’épée du  réalisateur Richard Thorpe, qui signera par la suite quelques grands  classiques du genre tels que « The Prisoner of Zenda » (1952), « Knights  of the Round Table » (1953) ou « The Adventures of Quentin Durward »  (1955). Ces films marqueront d’ailleurs la consécration de l’acteur  Robert Taylor dans le cinéma d’aventure, Taylor devenant très rapidement  l’acteur fétiche du réalisateur qui l’engagera à de nombreuses reprises  sur plusieurs de ses films des années 50 (Rober Taylor avait d’ailleurs  déjà croisé la route du réalisateur en 1938 sur « The Crowd Roars »).  Sans apporter quoique ce soit de nouveau au genre, « Ivanhoe » reste un  bon spectacle hollywoodien dans la plus pure tradition du genre, une  vision certes très kitsch et édulcorée du Moyen-âge et de ses héros (on  croise ici brièvement le personnage de Robin des Bois, qui prête alors  main forte à Ivanhoé dans sa quête chevaleresque) mais toujours aussi  divertissante et spectaculaire.


La grande partition symphonique  de Miklós Rózsa reste à n’en point douter l’atout majeur du film de  Richard Thorpe. Le compositeur, qui signait l’année précédente une  partition splendide pour le péplum biblique « Quo Vadis », revient donc à  la charge en 1952 avec la musique épique et chevaleresque de « Ivanhoe »  - le compositeur retrouvera d’ailleurs Richard Thorpe sur « Knights of  the Round Table » en 1953. Le score de « Ivanhoe » s’articule comme  d’habitude sur un ensemble symphonique plutôt large et massif, typique  des musiques d’aventure épiques de Rózsa. Le traditionnel « Prelude  (Ivanhoe) » nous permet de dévoiler le superbe thème principal associé à  Ivanhoé dans le film, thème chevaleresque aux consonances médiévales et  héroïques du plus bel effet, largement dominé par un pupitre de cuivres  massifs et de cordes élégantes, un prélude sans surprise mais dans la  lignée des grands opus musicaux épiques du compositeur. Signalons  d’ailleurs que le compositeur a mené tout un travail de musicologue pour  les besoins du film, comme il le fit d’ailleurs régulièrement sur la  plupart des films d’époque qu’il mit en musique tout au long de sa  carrière. Ainsi donc, Rózsa a tenté de reproduire l’ambiance globale de  la musique du 12ème siècle en s’appropriant quelques mélodies populaires  qui devinrent les piliers de sa partition. Ainsi, durant la narration  introductive après le générique de début, le compositeur a adapté une  ballade écrite par Richard Coeur de Lion lui-même. Le thème principal  des normands provient quand à lui d’un hymne latin d’un troubadour du  12ème siècle, tandis que le Love Theme pour Ivanhoé et Rowena est adapté  d’une chanson populaire du nord de la France. Ce travail de musicologue  fait toute la richesse de la partition de Miklos Rózsa et renvoie aux  approches musicologues d’autres grands noms de la musique du 20ème  siècle, et plus particulièrement Béla Bartók (qui adapta bon nombre de  mélodies traditionnelles d’Europe de l’est dans ses propres  compositions) ou Igor Stravinsky en tête.


Dans « Ransom », Rózsa  utilise davantage les cordes pour suggérer l’enlèvement du roi Richard -  à noter ici l’utilisation des trémolos de violons et de la mélodie  confiée aux violoncelles - avec, comme souvent dans les productions  historiques/médiévales de cette époque, des harmonies en quinte à vide  et en quartes reflétant la musique du 12ème siècle. On retrouve ici  aussi un caractère à la fois solennel et majestueux dans le jeu de  l’orchestre qui renvoie au prélude du film. Quelques accents martiaux  ponctuent « Rotherwood », le tout soutenu, comme toujours avec Miklos  Rózsa, par un classicisme d’écriture élégant et des orchestrations  massives et riches. Le compositeur reste fidèle à son goût pour un  lyrisme élégant et très hollywoodien en introduisant l’indispensable  thème romantique de « Ivanhoe » dans « Lady Rowena » - inspiré d’une  mélodie populaire du nord de la France. Introduit d’abord par les bois,  le morceau développe très vite une mélodie suave et passionnée aux  cordes, emprunt d’une certaine nostalgie. Certes, ce Love Theme reste  sans surprise, mais apporte néanmoins une émotion certaine à la  partition de « Ivanhoe », avec un lyrisme élégant, et des harmonies  romantiques de toute beauté - sans aucun doute le plus beau morceau de  la partition de « Ivanhoe ».


La musique devient alors plus sombre  au détour de « Sir Cedric » avec ses harmonies de cordes en quintes  parallèles typiquement médiévales, tandis que « Squire Wamba » tente de  rompre un peu le sérieux solennel de la composition de Rózsa en  apportant un peu d’humour et de légèreté à la musique, pour la scène de  l’apparition de Wamba, l’écuyer comique d’Ivanhoé dans le film - on  pourra d’ailleurs reprocher au compositeur le côté un peu facile et  cliché de l’utilisation de touches mickey-mousing associées dans le film  au sidekick de service. Le compositeur développe d’ailleurs dans «  Squire Wamba » son très beau thème romantique aux violoncelles, un thème  de qualité qui nous prouve une fois à quel point Miklos Rózsa n’est pas  qu’un spécialiste des musiques d’aventure épiques/guerrières cuivrées  mais qu’il sait aussi faire preuve d’une grande sensibilité romantique  et d’un lyrisme poignant et extrêmement raffiné. Dans « Rebecca », le  thème chevaleresque d’Ivanhoé revient, introduit ici par les cors et  développé ensuite par les cordes (avec un contrepoint intéressant aux  cordes). Le compositeur en profite aussi pour introduire quelques  touches plus pastorales par le biais d’une mélodie de hautbois plus  légère pour la scène de l’arrivée dans la forêt de Sherwood. La musique  devient plus passionnée et dramatique dans le nouveau thème romantique  de cordes de « The Intruder », évoquant alors les sentiments de Rebecca  (Elizabeth Taylor) pour Ivanhoé, thème absolument typique des grandes  mélodies amples et lyriques du compositeur (à noter d’ailleurs  l’utilisation d’un violon soliste à la fin du morceau).


Une  partition épique pour un film de cape et d’épée ne serait rien sans les  traditionnelles fanfares qui peuplent cet univers musical souvent très  codifié. Ainsi donc, Rózsa perpétue la tradition dans « The Rivals » où  il illustre la séquence de la joute à la lance avec une fanfare  introductive de trompettes, suivi de quelques développements du thème  d’Ivanhoé aux cordes. La musique reprend ici le magnifique thème  romantique passionné de « The Intruder » pour l’un des plus beaux  passages du score de « Ivanhoe », au lyrisme pur et raffiné. Après une  ouverture martiale et cuivrée, « Rebecca’s Love » reprend le thème  d’Ivanhoé, brillamment juxtaposé ici au Love Theme de Rebecca, pour la  scène où Ivanhoé se retrouve en tête à tête avec la belle Rebecca  (Elizabeth Taylor). Rózsa nous offre ainsi pas moins de deux thèmes  romantiques pour sa partition de « Ivanhoe », celui de Lady Rowena, et  celui plus dramatique de Rebecca, comme pour rappeler l’amour impossible  entre les deux êtres (le coeur d’Ivanhoé appartient déjà à sa promise,  Lady Rowena, et il devra d’ailleurs faire un choix à la fin du film).  Les touches martiales reviennent dans « Search » et « Torquilstone  Castle » avec ses cuivres solennels, sans oublier le sombre «  Bois-Guilbert’s Bargain » avec ses reprises plus tourmentées du thème  d’Ivanhoé (ce dernier est fait prisonnier dans le château de ses  ennemis) et le superbe « The Battlement » pour la scène de la bataille  dans le château, morceau introduit par une trompe et qui développera  très vite une atmosphère guerrière/martiale assez virtuose et cuivrée  sur plus de 7 minutes : un grand moment dans la partition de « Ivanhoe »  !


Dans « Saxon Victory » - autre grand tour de force de la  partition de « Ivanhoe » - Rózsa développe cette atmosphère guerrière et  martiale avec un orchestre toujours largement dominé par le pupitre des  cuivres, des cordes agitées et des percussions martiales du plus bel  effet. Après l’énergie incroyable de « The Battlement », difficile de ne  pas résister dans le film au déchaînement épique et héroïque de « Saxon  Victory », dans lequel le compositeur en profite aussi pour développer  quelques uns de ses thèmes. « Farewell » reprend enfin le très beau  thème romantique de Lady Rowena au hautbois et aux cordes pour un  morceau plus apaisé et poétique, avant de se conclure sur le duel final  de « Challenge And Finale » qui conclut la quête d’Ivanhoé sur un ultime  tour de force orchestral épique, martial et guerrier, avant de céder la  place à une ultime reprise du thème chevaleresque d’Ivanhoé en guise de  coda triomphante. Vous l’aurez donc compris, Miklos Rózsa nous livre  une nouvelle grande partition épique et chevaleresque pour « Ivanhoe »,  un grand opus musical qui doit beaucoup au travail de musicologue du  compositeur, qui s’est ainsi intéressé au répertoire musical populaire  du 12ème siècle en incorporant ainsi certaines de ces mélodies au sein  de sa propre partition. Le résultat est somme toute assez prévisible et  sans grande surprise particulière, mais en adéquation parfaite avec  l’ambiance chevaleresque et guerrière du film de Richard Thorpe, une  grande partition symphonique à ranger au même rang que les grandes  oeuvres épiques de Miklos Rózsa comme « Ben-Hur », « El Cid », « Knights  of the Round Table » ou bien encore « King of Kings » !

by Quentin Billard 30 May, 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May, 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
Share by: