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Jason and the Argonauts

Quentin Billard

Fameuse  adaptation cinématographique de l'une des plus célèbres histoire de la  mythologie grecque, le 'Jason and The Argonauts' de Don Chaffey nous  narre l'histoire de Jason (Todd Armstrong) en quête de la fameuse toison  d'or accompagné de ses camarades les argonautes (du nom de leur bateau:  l'Argo). Jason doit trouver et ramener la toison d'or s'il veut devenir  roi de Thessalie, mais les Dieux vont mettre toute une série  d'obstacles sur son chemin, Jason ayant alors droit à un nombre limité  d'aides de la part de la déesse Hera, femme de Zeus. 'Jason and The  Argonauts' repose autour d'effets spéciaux impressionnants pour l'époque  et assurés par le grand Ray Harryhausen, le maître des effets spéciaux  de l'époque (on est en 1963) et qui avait déjà crée les effets spéciaux  de deux autres grands films d'aventure des années 60, 'Mysterious  Island' et 'The 7th Voyage of Sinbad'. Le film de Don Chaffey repose sur  une mise en scène quelconque mais dont on appréciera la qualité des  effets spéciaux (réalisés avec la méthode aujourd'hui complètement  'démodé' du procédé d'image par image - procédé qui donne cependant un  côté magique aux personnages fantastiques de ce film -) et si les  acteurs ne sont pas de véritables stars, ils n'en restent pas moins tout  à fait convaincants. Le film est aussi connu pour sa célèbre séquence  finale où Jason et ses camarades affrontent des squelettes/soldats avant  de réussir à prendre la fuite avec la toison d'or. Reste que le film  est un peu court et que l'on regrettera que l'histoire se termine aussi  vite et de manière assez bâclé. Spectaculaire, 'Jason and The Argonauts'  l'est assurément. Que ce soit l'attaque du titan de bronze Talos,  l'attaque des Hydres à sept têtes, l'attaque des squelettes ou la scène  avec Triton qui vient en aide à Jason et ses camarades, le film de Don  Chaffey est une excellente production d'aventures mythologiques dont  l'intérêt réside comme nous l'avons déjà signalé dans le travail  colossal de Ray Harryhausen (qui est aussi le producteur associé sur le  film avec Charles H.Schneer) qui donne un souffle visuel épique au film  de Don Chaffey. Remarquable, même si l'ensemble est un petit peu court.


Bernard  Herrmann a déjà composé quelques grandes partitions pour les  productions d'aventure de Charles H.Schneer (et de Ray Harryhausen), et  notamment pour 'The 7th Voyage of Sinbad' (1958), 'The 3 Worlds of  Gulliver' (1960) et 'Mysterious Island' (1961). Pour 'Jason and The  Argonauts', Herrmann a composé une excellente musique d'aventure et une  partition à la fois sombre et très cuivrée. A l'aide d'un thème  principal héroïque (et facilement mémorisable) qui évoque les exploits  héroïques de Jason, Herrmann construit une partition à la fois sombre et  agitée retranscrivant toute l'intensité des scènes d'affrontement  contre les monstres et divers obstacles qui se dressent sur le chemin du  héros en quête de la toison d'or. Ce qui frappe à la première écoute de  cette BO, ce sont les orchestrations massives typiques du compositeur.  Le premier élément à noter est l'absence totale des cordes, ce qui donne  une couleur assez spéciale à la partition (dans 'Psycho', Herrmann  n'utilisait que les cordes!). Le deuxième élément surprenant reste les  orchestrations massives du pupitre des cuivres, vents et percussions: on  trouve ainsi 4 flûtes/piccolos, 6 hautbois, 6 cors anglais, 6  clarinettes (avec clarinettes basses et contrebasses), 6 bassons avec  contrebassons. Les cuivres sont eux aussi en proportions gigantesques  puisque l'orchestre réunit 8 cors, 6 trompettes, 6 trombones et 4 tubas.  Concernant les percussions, on trouvera deux groupes de 5 timbales  chacun, un groupe colossal de cymbales, plusieurs caisses avec tambours,  glokenspiel, vibraphones, xylophones, triangles et j'en passe. On finit  finalement ce rapide petit tour d'horizon de l'orchestre en signalant  la présence de 4 harpes qui viennent évoquer le côté fantastique et  mythique du film.


Comme avez put le comprendre, le score de  'Jason and The Argonauts' fait dans le gigantisme orchestral dont  l'absence totale de cordes donne à ce score puissant une couleur  orchestrale spéciale, encore plus lourde et plus massive (mais tout de  même très proche de ce que le compositeur a déjà crée auparavant pour ce  genre de film, comme pour 'Sinbad' ou 'Mysterious Island' par exemple).  Mais malgré ce très impressionnant effectif orchestral reposant sur les  effets orchestraux massifs chers au compositeur (qui ne fait pas  toujours dans la subtilité, surtout dans ce genre de grosse production  d'aventure fantastique), le score de 'Jason and The Argonauts' n'est pas  si lourd qu'il puisse y paraître. Bernard Herrmann manie cette écriture  orchestrale et ses combinaisons instrumentales peu ordinaires avec une  maestria déconcertante et se permet même de s'offrir quelques légères  petites touches d'humour pour éviter de trop se prendre au sérieux. Le  'Jason Prelude' nous plonge d'entrée dans le côté aventure héroïque du  film avec le thème principal, celui de Jason, thème facilement  mémorisable qui créera le côté héroïque du personnage. Ce sont les  cuivres imposants qu'Herrmann met particulièrement en avant dans son  score et ce dès l'excellent 'Jason Prelude'. La première partie du score  est encore plutôt calme, réservant un peu de place aux vents avec en  particulier les clarinettes, basson et flûtes. Mais c'est l'intervention  des harpes qui est remarquable dans cette première partie du score (et  du film), les harpes évoquant la présence magique des Dieux Zeus et Hera  (pour la scène du mont Olympe au début du film, Herrmann a écrit un  thème plutôt magique pour les Dieux, combinant les harpes avec carillon,  glokenspiel et triangles, le mélange donnant une sonorité cristalline  parfaite pour cette séquence 'divine'). D'une manière générale, les  harpes évoquent tout le côté divin et magique de cette histoire (on  retrouve aussi ces instruments lorsque Jason découvre la toison d'or ou  lorsque cette dernière guérit les blessures de Medée) Mais c'est lors du  départ de l'équipage que la musique commence à prendre une allure plus  de style aventure avec une excellente reprise du thème de Jason pour  cette première scène de voyage en direction de Colchis, l'île  mystérieuse et lointaine dans laquelle se trouve la toison d'or.  Hercules et un de ses compagnons découvrent alors les statues des Titans  sur l'île où ils débarquent pour venir y chercher des vivres et de  l'eau. La découverte de ces terrifiantes statues se fait à l'aide de  cuivres sombres et impressionnants, une couleur orchestrale particulière  qui caractérise si bien le score de Bernard Herrmann. On notera aussi  l'utilisation d'un bref petit motif de clarinettes pour les scènes où  Jason s'adresse à la déesse Hera sur son bateau, un petit motif plutôt  léger et paisible et que l'on entend souvent avant que les ennuis  commencent pour les héros.


Mais la première grande musique  d'action/aventure impressionnante intervient pour la séquence colossale  de l'attaque de Talos. A l'aide d'un thème de cuivres très sombres et de  divers ostinatos faisant intervenir de grands rythmes de percussions  imposants, Herrmann crée une musique colossale et menaçante pour décrire  l'attaque de ce terrifiant colosse de bronze. Le compositeur réussit à  centrer toute la séquence autour d'un seul thème de cuivres sur des  rythmes insistants créant une ambiance gigantesque de danger. L'attaques  de harpies se fait à l'aide de traits de vents et de harpes plutôt  acrobatiques avec un côté assez grotesque. Les traits rapides des harpes  donnent un côté fantastiques à ces personnages tandis que les sonorités  orchestrales sombres et agressives augmentent le côté grotesque de ces  bestioles furieuses. Herrmann s'amuse à décrire ses créatures ailées  comme de véritables petits monstres grotesques que le compositeur évite  de rendre terrifiant en privilégiant une écriture plus 'sautillante' des  vents tout en conservant le côté dangereux des personnages, ce qui est  très bien réussi dans cette scène. On retrouve le même type d'ambiance  de danger à l'aide de vents sombres et de cuivres graves et menaçants  pour la scène des chutes de pierre où Triton vient en aide à Jason et  ses compagnons. (sans oublier un passage orchestral plutôt sauvage et  plein de percussions pour l'affrontement entre Acastus et Jason,  timbales et cuivres agressifs mis en avant).


On trouvera quelques  parties plus calmes et douces concernant la romance naissante entre  Jason et Medée (romance totalement sous-développée dans le film au  profit de l'action et des séquences d'aventure) et notamment à l'aide  des vents et des harpes et ce à l'aide d'un petit thème plus doux  faisant intervenir ici un solo de cor anglais entouré de clarinettes et  de hautbois (moins usité dans les autres morceaux, comme les cors  anglais). Il est dommage cependant qu'à l'instar du film, ces passages  plus calmes aient tendance à être très brefs et trop courts, ce qui  aurait permit d'apporter un peu de relief à un score finalement assez  brutal. Jason arrive alors à Colchis pour la dernière partie du film (et  du score), Herrmann décrivant la scène de danse à l'aide d'une pièce de  dance aux accents orientaux, à l'instar de ce que fit Richard Strauss  dans la célèbre 'Danse des 7 voiles' de l'Opéra Salomé (notons ici  l'utilisation des vents avec le tambourin et les harpes). Après une  autre grande séquence d'affrontement avec les Hydres où Herrmann utilise  une fois de plus ses effets massifs de cuivres/vents avec des  percussions sauvages (coup de cymbale brutal lorsque Jason tue les  Hydres d'un coup d'épée dans le ventre), c'est la découverte de la  toison d'or qui permet à Herrmann de réutiliser son matériel 'magique'  du début du film à l'aide des harpes et de la combinaison des  vibraphones et des vents qui donnent véritablement un côté magique à cet  objet mythique (Herrmann est un chef lorsqu'il s'agit d'associer à  l'écran des sonorités instrumentales avec l'idée d'un objet ou d'un  personnage).


Finalement, la partition trouve un point culminant  dans la célèbre scène de l'attaque des squelettes, et qui est  probablement l'un des meilleurs morceaux de la partition (il faut tout  de même signaler que le compositeur fait de nombreuses références à ses  anciennes partitions tout au long du score. Ainsi, le célèbre 'Scherzo  Macabre' est repris d'une de ses pièces symphoniques datant de 1936,  'Nocturne et Scherzo', que le compositeur a réarrangé, recomposé et  réorchestré pour les besoins du film). Le fameux 'Scherzo Macabre'  apporte une touche un peu plus humoristique à la musique en décrivant  cette attaque des squelettes de manière grotesque voire même ironique.  Le premier élément à noter est l'utilisation du célèbre thème du 'Dies  Irae' (déjà utilisé par Hector Berlioz dans sa 'Symphonie Fantastique',  utilisé par Wendy Carlos dans le Main Title de 'The Shining' et aussi  utilisé brièvement par Jerry Goldsmith dans 'Poltergeist' et Elliot  Goldenthal dans 'Demolition Man') qu'Herrmann confie ici sur un rythme  lent et menaçant à l'aide de cuivres lourds et imposants entrecoupés  d'un petit motif rythmique de clarinettes qui contrastent totalement  avec le côté plus lourd et menaçants des cuivres, ce qui semble déjà en  dire long pour la suite de la séquence qu'Herrmann va traiter avec ce  même genre de contraste mais de manière moins subtile (en gros, l'idée  du compositeur est ici d'évoquer en premier point le côté sérieusement  menaçant et dangereux de ces créatures-Dies Irae avec cuivres graves et  lourds- avant de nous faire comprendre que ce ne sont que des êtres  grotesques et un peu abrutis sur les bords -motif rythmique de  clarinette plutôt ironique et décalé). Arrive alors le 'Scherzo Macabre'  pour l'affrontement final avec ces squelettes agressifs, un morceau qui  reste l'exemple même de la parfaite symbiose entre musique et film, la  combinaison des différents mouvements rythmiques virtuoses du scherzo  étant en osmose parfaite avec les mouvements des personnages de cette  célèbre séquence. Mais le 'Scherzo' est par définition un morceau à  caractère souvent léger ou joyeux, et la définition exacte du mouvement  'Scherzo' (qui vient de l'italien) veut dire 'en badinant'. Il y'a donc  ici l'idée de ne pas du tout se prendre au sérieux. C'est ce que l'on  ressent très clairement dans cette scène de bataille irréelle.  L'écriture des cuivres est complexe et assez virtuose avec un style  enjoué qui peut paraître décalé avec la scène mais qui finalement  apporte une touche d'humour qui ne peut être que la bienvenue au sein  d'un score massif finalement assez sombre et agité. La conclusion de  l'histoire se fait de manière plus paisible avec une ultime reprise du  thème principal, celui de Jason et qui clôt le film de manière héroïque.


Que  dire de plus face à un score monumental tel que 'Jason and The  Argonauts'? On aurait peut être aimé avoir un peu plus de relief dans ce  score assez lourd et qui reste assez souvent répétitif et ce même si le  compositeur arrive à varier les différentes séquences qu'il met en  musique. La thématique est intéressante sans être le véritable point  fort du score, et c'est le travail autour des orchestrations très  spéciales qui rend l'ensemble assez intéressant et qui pourrait  constituer à lui tout seul un véritable travail d'étude et d'analyse  musicale rigoureuse. A l'instar de 'The 7th Voyage of Sinbad' et  'Mysterious Island', 'Jason and The Argonauts' est un autre grand  classique d'aventure de Bernard Herrmann à découvrir pour ceux ou celles  qui ne connaîtraient que les oeuvres thriller/suspense d'Herrmann,  souvent écrites pour les films d'Hitchcock. Un classique!

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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