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Journey to the Center of the Earth

Quentin Billard

'Journey To The Center of The Earth' est la première adaptation cinématographique du célèbre roman de Jules Verne ('Voyage au centre de la terre'). Le film d'Henry Levin met en scène James Mason dans le rôle du professeur Oliver Lidenbrook, un prof de géologie d'Edinburgh qui, après s'être intéressé à une mystérieuse roche d'origine volcanique, découvre que cette dernière contient une inscription faite par le célèbre explorateur Arne Saknussem. L'inscription indique en fait le chemin à suivre pour se rendre jusqu'au centre de la terre. Lindenbrook décide de se lancer dans l'aventure et de suivre l'expédition que mena Saknussem lui-même il y a de nombreuses années, bien avant qu'il ne disparaisse mystérieusement. Son voyage le conduira à déjouer une tentative de sabotage de la part d'un collègue malhonnête et sans scrupules, avant de se rendre au volcan Snaffels Yokul, en Islande. C'est là qu'il devra emprunter toute une série de caves avec ses compagnons pour tenter de rejoindre le centre de la terre. Le film d'Henry Levin utilise des décors impressionnants (bien que l'on soit parfois très proche de l'esthétique carton-pâte un peu kitsch et vieillotte) et des effets spéciaux digne d'un Ray Harryhausen (la séquence des iguanes géantes est très impressionnante pour l'époque!). Seule ombre au tableau: rien de tout ce que le film raconte n'est crédible. On sait que le coeur de la terre est constitué de magma, ce qui rend impossible toute expédition au centre de la terre. On a donc du mal à croire que ces personnes sont au coeur de la terre lorsque l'on voit toutes ces caves (mystérieusement éclairées, même à plus de 5000 mètres sous la terre. Etrange, non?) avec des cristaux, des champignons géants, des créatures préhistoriques surdimensionnées, un océan sous-terrain, etc. Qui peut croire un seul instant à la crédibilité de ce que le réalisateur s'évertue à nous montrer durant plus deux heures (le film est assez longuet)? Evidemment, on est ici plus proche de la science-fiction (on croirait voir un épisode de 'Star Trek') que du film d'aventure à proprement parler. On notera l'excellente interprétation de James Mason dans le rôle de ce professeur avec un sale caractère. Au final, un film d'aventure sympathique, avec de beaux décors et des effets spéciaux satisfaisants, mais totalement dénué de crédibilité : on n'y croit pas un seul instant! Dommage!

Bernard Herrmann signe sur 'Journey To The Center of The Earth' une de ses meilleures partitions orchestrales de la fin des années 50. Comme d'habitude, le compositeur fait preuve d'une grande inventivité dans ses choix orchestraux, privilégiant des alliages instrumentaux toujours aussi étonnants, voire déséquilibrés par moment. C'est le fameux 'Prelude' qui nous introduit à l'univers magique et mystérieux de cette superbe partition orchestrale, Herrmann utilisant pour l'occasion un orgue avec des cuivres pesants et profonds, qui atteignent un registre grave rarement entendu chez les trombones et les cors. L'idée du compositeur est ici d'illustrer musicalement cette plongée dans les abîmes de la terre, plongée qu'il représente métaphoriquement avec cette descente inquiétante de cuivres massifs dans l'extrême grave des instruments. A noter que, pour les besoins de sa partition, Herrmann a décidé de ne pas utiliser les cordes (comme dans 'Jason & The Argonauts'), préférant privilégier les vents, les cuivres, 5 orgues (un orgue d'église et quatre orgues électroniques!), les harpes, etc. Ce 'Prelude' est la preuve flagrante du talent du compositeur a élaborer des partitions symphoniques originales pour le cinéma, avec un sens très prononcé pour des orchestrations toujours très étonnantes et inventives.

Dans 'Explosions/The Message', Herrmann réutilise le climat mystérieux du début avec un superbe balancement autour de deux accords mineurs, évoquant le mystère lié à l'exploration du coeur de la terre. Le morceau est entendu au début du film, représentant le côté intrigant de l'aventure à venir, avec une bonne dose d'appréhension et de mystère. A ce sujet, l'idée de mystère n'a jamais été aussi forte chez Bernard Herrmann que dans cette partition. On se sent vraiment captivé par cette atmosphère à la fois pesante et ténébreuse, teintée d'appréhension et de découverte angoissée de l'inconnu. Après un passage romantique plutôt futile dans 'Faithful Heart/My Love Is Like a Red Red...' adaptant à l'orchestre la chanson de Jimmy Van Heusen (scène romantique au début du film), le superbe 'The Mountain/The Crater' nous permet de retrouver le motif de balancement autour de deux accords, rendu quasiment envoûtant par le biais de l'étonnante utilisation d'un orgue électrique hypnotisant, dont la sonorité semble surgir de l'au-delà dans la manière dont sa sonorité résonne dans une sorte d'écho - comme pour évoquer l'immensité des cavernes souterraines que vont explorer les héros dans la dernière partie du film. On ressent dans 'The Mountain/The Crater' une certaine forme d'inquiétude et de mystère lié à l'exploration d'un monde inconnu. Si le film n'a pas beaucoup de crédibilité, Bernard Herrmann a prit son sujet très au sérieux (peut-être même un peu trop).

On retrouve ces orchestrations originales et disproportionnées dans 'Abduction/The Count and Groom', tandis que 'Mountain Top/Sunrise/Rope/Torch/March' nous permet d'entendre un nouveau thème apparaissant lors de la séquence du lever de soleil qui indique aux explorateurs le chemin à suivre pour descendre dans les cavernes souterraines (il semblerait que cette pièce soit de James Van Heusen, et non de Herrmann - et ce même si cela sonne pourtant comme du Herrmann!). A noter que ce motif de 5 notes a souvent fait parler de lui puisqu'on le compare très souvent à un thème similaire, celui de 'Batman' de Danny Elfman. Il est clair que la similitude entre les deux thèmes est absolument flagrante, Elfman ayant lui-même déjà reconnu que Bernard Herrmann était pour lui une source d'inspiration. Ce nouveau thème cuivré, entouré de harpes cristallines, d'un orgue et des vents, renforce l'ambiance mystérieuse de la séquence de la descente dans le cratère de la montagne, et c'est le début de l'aventure souterraine dans le sombre 'Sign/Sleep/False Arrows/Fall/Grotto', où l'on retrouve le mystérieux motif qui tournoie autour de deux accords mineurs, qui sert de balise musicale à la partition d'Herrmann afin d'évoquer les mystères et la magie inquiétante des mondes souterrains. 'Lost/Bridge/Gas Caves/Vines' accentue l'ambiance pesante de mystère avec des couleurs instrumentales sombres privilégiant les clarinettes graves ou les trompettes en sourdine et les trombones dans le grave. Herrmann décrit ici l'impressionnante séquence de la traversée du pont, la musique semblant alors errer, comme ce personnage qui se perd dans les cavernes souterraines.

Le thème mystérieux est développé dans 'Salt Slides/The Pool/Dead Groom/The Gun' aux trompettes, la musique d'Herrmann semblant devenir de plus en plus glauque (à noter ici l'excellente utilisation d'un effet sonore imitant le bruit du vent). Plus les héros s'enfoncent dans les souterrains de la terre, plus la musique se veut mystérieuse et inquiétante, parfois même très pesante (les orchestrations inventives du compositeur jouent beaucoup dans cette atmosphère musicale quasi-surréaliste), et c'est la séquence de la caverne des champignons géants dans 'The Canyon/Cave Glow/Mushroom Forest', dans un style presque plus planant, avec des vents graves (toujours cette sonorité de clarinettes graves, sans flûte ni hautbois) couplés avec une harpe mystérieuse. La musique prend une tournure plus massive dans 'Underworld Ocean/The Dimetroden's Attack', où l'orgue refait son apparition dans un univers sonore surréaliste, sombre et planant, évoquant l'océan souterrain. L'attaque de la créature géante est illustrée quant à elle dans un style plus massif et agressif, comme dans le terrifiant 'Magnetic Storm/Whirlpool/The Beach', où l'orgue est utilisé de manière très frappante avec des cuivres graves lourds, menaçants et dissonants. L'orgue confère une dimension quasi gothique à ce morceau de terreur décrivant la scène de l'attaque des créatures géantes sur le bord de la plage.

Après le sombre et mélancolique 'The Duck/The Count's Death' (cf. ces étonnantes parties de trompettes en sourdine au début de la pièce), c'est la séquence de la découverte des ruines de l'Atlantide dans 'The Lost City/Atlantis', où l'on retrouve le thème du mystère avec un orgue d'église gothique à souhait et des orgues électroniques en écho. Il y a dans cette pièce une atmosphère beaucoup plus recueillie, quasi spirituelle. En fait, Herrmann n'a de cesse de nous faire voyager dans un autre univers, au-delà de nos repères temporels, vers une autre civilisation, un autre monde. 'The Lost City/Atlantis' et son ambiance planante semble tout droit sortie d'un rêve. C'est dire l'impact que produit la musique d'Herrmann sur les images du film d'Henry Levin. L'un des morceaux les plus étonnants du score apparaît avec le superbe 'Giant Chameleon/The Fight', dans lequel Herrmann utilise les étranges sonorités du serpent, un instrument médiéval qui n'avait pas été utilisé depuis de nombreux siècles depuis la fin du moyen-âge. A noter que Jerry Goldsmith réutilisera lui aussi cet étrange instrument dans son inoubliable partition d'Alien (1979). Pour l'occasion, Herrmann utilise le serpent afin de souligner l'apparition du caméléon géant vers la fin du film. Le serpent a ici un rôle quasi-soliste, soutenu par des cuivres menaçants tellement graves qu'ils frôlent les infrasons (On est très proche ici de l'expérimentation des grands compositeurs du milieu du 20ème siècle). La musique atteint ici une dimension plus chaotique, évoquant la destruction des ruines, débouchant sur 'Earthquake/The Shaft', superbe morceau massif faisant intervenir des cuivres ultra graves avec d'impressionnantes tenues d'orgue dissonant pour la scène du tremblement de terre et des coulées de lave, la partition s'achevant finalement sur une grande apothéose musicale avec 'Finale' (orgue d'église, cuivres massifs, percussions brutales, etc.), non utilisé dans le film.

Le score de 'Journey To The Center of The Earth' est conçu comme le film d'Henry Levin: un voyage étrange et claustrophobique vers un monde souterrain inconnu, où règne le mystère, la magie et le chaos. C'est tout cela qui est représenté à travers la formidable partition de Bernard Herrmann. Comme d'habitude, le compositeur nous prouve ici son talent à manier des formations instrumentales inattendues, comme ces mélanges entre orgue, clarinettes graves et cuivres profonds. L'utilisation d'orgues électroniques et du serpent est un autre élément fort qui renforce l'ambiance musicale unique pour ce film. Herrmann confère au film d'Henry Levin une identité musicale forte, en expérimentant des alliages instrumentaux étonnants et parfois volontairement disproportionnés (une marque de fabrique du compositeur!). Loin d'un style hollywoodien plus conventionnel, la musique de 'Journey To The Center of The Earth' est une véritable expérience musicale en soi, une partition étonnante et passionnante, qui reste néanmoins complexe et pas très facile d'accès aux premiers abords. La richesse des trouvailles du compositeur nous fait cruellement regretter la mort de celui qui fut l'un des plus grands musiciens que le 'Golden Age' hollywoodien ait connu durant cette première moitié du 20ème siècle, un artiste qui n'avait décidément pas peur d'aller jusqu'au bout de ses idées musicales parfois très radicales pour l'époque. Certains musiciens (ou producteurs) d'aujourd'hui feraient bien de prendre exemple sur lui!

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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