Providence

Quentin Billard

'Providence' traite de la création littéraire vu à travers le  point de vue de l'écrivain. Pour ce drame très psychologique et  'cérébral', le réalisateur Alain Resnais a fait appel à des acteurs  américains et anglais pour tourner son film. C'est l'excellent John  Gielgud qui interprète le rôle de l'écrivain Clive Langham, un vieil  homme tourmenté par sa maladie, souffrant seul dans son lit en pleine  nuit. Pour tenter de combattre sa maladie, l'écrivain va imaginer une  nouvelle histoire où il ferait intervenir des membres de sa propre  famille ainsi que sa femme Helen, morte il y a plusieurs années après  s'être suicidé. Troublant, le récit imaginaire de Langham prend vie dans  l'esprit de Langham, l'alcool ne faisant qu'empirer les choses. Langham  est un bourgeois matérialiste qui montre son côté vulgaire au travers  de son agonie, mais à travers les flash-back astucieusement entretenus  par ce nouveau récit dont il compte extraire un dernier livre, Langham  dévoile des éléments de sa propre vie et mélange réalité et fiction.  Resnais entretient le récit d'une manière fort déroutante à tel point  que le spectateur finit par se demander s'il est dans le réel ou le  fictif. Langham montre une vision fort inquiétante des membres de sa  famille en développant l'intrigue avec Claude (Dirk Bogarde), un avocat  ambitieux qui sait que sa femme Sonia le trompe (Ellen Burstyn) avec  Kevin Woodford (David Warner) et qui commence à le supporter de moins en  moins, projetant même de le tuer. L'époque dans laquelle se déroule  l'histoire est floue, on ne sait pas vraiment dans quelle époque  l'écrivain base son récit. Le seul élément dont nous disposons est la  présence d'une dictature militaire et de quelques scènes de camp de  prisonniers qui ne sont pas sans rappeler le régime Nazi. Le reste du  récit se déroule de manière fort troublante avec un agencement  d'éléments parfois farfelue, issu de l'esprit torturé d'un écrivain en  train d'agoniser. La dernière partie du film nous permet finalement de  découvrir les véritables Sonia, Claude et Kevin, ces deux derniers étant  ses propres fils. Mais même à la fin du film, on se demande s'il s'agit  de la réalité ou bien d'un nouveau récit inventé par l'auteur? Avec  cette double couche de narration, 'Providence' maintient le spectateur  en haleine jusqu'à la fin et ce malgré quelques longueurs. Alain Resnais  analyse avec brio le processus de la création littéraire, comment une  histoire germe dans l'esprit d'un artiste, comment sa propre vie  familiale et ses propres expériences peuvent influencer ses oeuvres,  comment sa sensibilité peut se révéler à travers des éléments déformés  du récit ou des fantasmes, etc. en adoptant le point de vue d'un artiste  agonisant, Resnais filme la création littéraire d'une manière fort  originale et fort astucieuse. On pourra reprocher au film de traîner un  peu en longueur, mais le résultat est à la hauteur de nos attentes:  'Providence' s'affirme comme étant l'un des grands classiques du cinéma  français de la fin des années 70.


Après avoir fait appel à des  acteurs anglais et américains, Resnais a tenu à ce que le grand Miklos  Rozsa participe à son film. Alain Resnais peut se vanter d'avoir  collaboré avec l'un des derniers grands compositeurs romantiques,  perpétuant ainsi la tradition d'un musical postromantique devenu  totalement anachronique en 1977 (un peu comme le classicisme d'un  Richard Strauss dans les années 1930/1940). Le score de Rozsa pour  'Providence' est une grande partition symphonique sombre et inquiétante,  une partition axé autour d'un thème principal reposant sur un rythme  quasi funèbre, comme si l'idée de la mort planait sur cette musique.  Ceci est d'autant plus marquant que nous sommes en 1977 et que Miklos  Rozsa est alors âgé de 70 ans et qu'il ne lui restera plus que 18 ans à  vivre avant sa mort en 1995. La musique de 'Providence' se trouve centré  autour de la fameuse 'valse crépusculaire', thème principal du score  sous la forme d'une lente valse funèbre. Ce thème confié à un orchestre  dense et dramatique à la fois évoque le déclin de l'auteur et le  tourment de son récit. Cette 'valse crépusculaire' s'ouvre au son  d'harmonies plutôt dissonantes évoquant l'ambiance funèbre du score, et  qui renforce l'atmosphère déjà si troublante du film.


Avec les  orchestrations denses traditionnelles du compositeur, la musique de  'Providence' aborde un ton sombre et noir très proche des partitions  thriller/suspense que le compositeur avait écrit dans les années 40/50  (on pense à 'Spellbound', 'Double Indemnity' ou bien encore 'The  Killers'). Il est assez amusant de remarquer à quelle point l'approche  de Rozsa sur 'Providence' est essentiellement noire et tendue, comme si  le compositeur avait vu ce film sous la forme d'un thriller/film noir à  l'ancienne. Effectivement, on ressent par moment dans le récit ce côté  noir mais c'est véritablement la musique de Rozsa qui transforme ce film  en une sorte de polar au scénario complexe et tortueux, inventé par un  écrivain malade en train d'agoniser. Le thème principal funèbre domine  l'ensemble de la partition, notamment à travers d'excellentes variantes  orchestrales comme cette version poignante que le compositeur a écrit  pour piano et orchestre. Parfois plus dramatique, la musique de Rozsa  conserve ce ton irrémédiablement sombre en évoquant par moment la  romance naissante entre Sonia et Kevin, le tout baignant dans un  classicisme d'écriture quasi anachronique pour l'époque (un peu comme  dans 'Time After Time'), un classicisme d'ailleurs fort étonnant pour un  film français de ce genre, preuve de l'ouverture d'esprit du  réalisateur. La musique poursuit ainsi sa route jusqu'à la dernière  vingtaine de minutes du film où le score semble changer radicalement de  ton pour nous offrir une atmosphère pastorale et bucolique en totale  contradiction avec la noirceur du reste de la partition. La tension  monte en passant par un bref passage d'action représenté dans  'Poursuite', lorsque le récit de Clive décrit la poursuite entre Kevin  et Claude, se dernier s'étant mis en tête de l'abattre dans la forêt. On  retrouve ici le style plus agressif de Rozsa (percussions, cordes et  cuivres en avant, dans un style très proche de ce que fera Rozsa sur  'Time After Time'), toujours dans la lignée de ses partitions thriller  des années 40, mais avec une plus grande maturité d'écriture.


Plus  de tension, plus de suspense et plus d'idée de mort ci. Dans 'Le Jardin  Public', Rozsa fait virevolter ses vents comme le fit Ravel dans une  oeuvre comme 'Daphnis et Chloé' lorsqu'il évoquait l'arrivée du matin.  Avec un ton plus paisible et naïf, 'Le Jardin Public' semble faire  disparaître toute trace de noirceur comme si Clive Langham se retrouvait  soudainement au paradis, en compagnie de ses enfants. Cette vision  soudainement plus naïve et innocente a de quoi troubler, surtout  lorsqu'on sait par où est passé la musique avant d'en arriver là. Le  film se conclura finalement sur une dernière reprise de la 'valse  crépusculaire', le crépuscule de l'auteur symbolisé par cet excellent  thème funèbre, l'un des derniers grands thèmes d'un compositeur devenu  maître de son art depuis très longtemps. Si 'Providence' n'est  certainement pas LE chef d'oeuvre de Rozsa (sa partition obtint  néanmoins l'Oscar de la meilleure musique en 1978), il n'en demeure pas  moins un score de référence dans la fin de carrière du compositeur,  toujours au sommet de son art à 70 ans. Le classicisme d'écriture de la  musique semble transposer le récit inventé par Clive Langham vers une  toute autre époque, mais c'est pour mieux marquer le côté intemporel de  la création littéraire (rajoutons à cela le fait que l'époque de  l'histoire est incertaine). Une partition noire, sombre, dramatique et  finalement très émouvante, dans laquelle le compositeur rend un bel  hommage à ses anciennes partitions thrillers des années 40!

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