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Larry Cohen parle de son regretté ami

Dennis Fisher

Au cours des années 70, Larry Cohen, auteur et réalisateur de films comme Q: THE WINGED SERPENT, THE STUFF ou IT’S ALIVE devint un ami proche de l’un des plus grands compositeurs de tous les temps, feu le grand Bernard Herrmann. Les souvenirs suivants sont issus d’une interview récente avec Cohen, dans laquelle il parle des relations tumultueuses entre Alfred Hitchcock et Hermann, et entre Herrmann et les studios des dernières années de sa vie :


Bernard Herrmann était comme un membre de la famille, j’étais avec lui lors de la dernière nuit de sa vie ; nous l’avons ramené au Sheraton Universal avant sa mort. Quand lui et Hitchcock se fâchèrent, c’était une époque où tout le monde cherchait à abandonner les scores orchestraux au profit des scores rocks, country western ou qui incluaient une chanson, un hit. Peu importait le sujet ou le caractère dramatique du film, quelque chanson niaise par Johnny Mathis ou autre conclurait le générique final. Ce n’était pas là la façon de faire de Bernie. Il ne pouvait pas travailler comme ça. Quand ils (les producteurs) ont commencé lui dire qu’ils voulaient un « tube » dan le film, il n’a pas pu le supporter. I était très franc et ne se montrait pas hypocrite; il ne retenait jamais ses sentiments. Il les a fustigées. C’est pourquoi les gens avaient peur de lui. Ils ne voulaient pas de quelqu’un qui dise la vérité tout le temps.


C’est l’une des raisons pour lesquelles il eut ce problème avec Hitchcock. La cause n’en était pas tant la musique de TORN CURTAIN (Le Rideau Déchiré) mais qu’il était l’un des plus proches amis de Hitchcock et l’une des seules personnes qui osaient lui dire la vérité et la vérité était que quand Hitchcock rejoignit Universal, ses films devinrent moins bons. TORN CURTAIN était un mauvais film et TOPAZ (L’Etau) était affreux, mais même Hitchcock le savait. Joan Harrison m’a dit qu’il (Hitchcock) était extrêmement déçu du film alors même qu’il le tournait. Il savait que ce n’était pas bon. Il ne faisait plus de bons films et il le savait. Lorsqu’il revint en Angleterre, il fit un film presque réussi : FRENZY, qui au moins avait quelques scènes dignes du Hitchcock d’antan. La distribution des rôles était mal faite, voilà tout. Il fallait une star dans le rôle que tenait John Finch, et Hitchcock a toujours mieux travaillé quand il avait des stars. S’il avait eu Michael Caine dans le rôle, c’eut été différent. John Finch était trop quelconque. Il n’avait pas le charisme nécessaire pour porter le film. Mais la scène du sac de pommes de terre était merveilleuse. Bernie m’a dit que quand Hitchcock gagna l’Angleterre pour faire FRENZY, quelqu’un à Universal l’appela et lui dit « Hitch est en ville, seriez vous intéressé d’écrire la musique de FRENZY ? » Bernie a répondu de façon caractéristique : « Si Hitch me veut, pourquoi ne m’appelle-t-il pas lui-même ? » Il était comme ça, c’est pourquoi cela ne déboucha sur rien. Il aurait été désireux de retravailler pour Hitch si Hitch l’avait appelé.


De façon assez ironique, il disait qu’il haïssait Universal. Il pensait qu’Universal avait détruit sa relation avec Hitchcock. Il disait qu’il avait été très proche de lui, mais alors Hitchcock avait commencé à devenir très riche et était devenu un actionnaire important de Universal. Deux soirs par semaine, il dînait avec Wasserman, puis avec Schreiber, et Wasserman lui rendait visite dans sa maison. Chaque soir de la semaine en fait, il dînait avec des gens d’Universal, il ne voyait personne en dehors de la hiérarchie d’Universal, ils le rendaient riche et ses films devenaient de plus en plus mauvais. Il faisait des choses comme filmer des publicités pour Universal. Il faisait la série TV et il négociait ses droits sur la série contre des parts dans Universal. Il s’est enrichi de façon importante, mais ses films se détérioraient et il le savait. Il n’avait pas d’amis et était très seul et Bernie était l’une des seules personnes qui le connaissait et qui pouvait parler avec lui sur un plan d’égalité. Les gens d’Universal ne voulaient pas de Bemie à ses côtés. Ils disaient : « Ce type ne peut pas vous donner ce dont vous avez besoin : un tube ». Toute la question était là.


Après la rupture, Bernie qui était toujours anglophile partit pour l’Angleterre avec Norma, sa belle et jeune nouvelle épouse. J’ai toujours pensé que cette jeune femme a conduit à lui aliéner Hitchcock. Bernie n’était physiquement guère différent d’Hitchcock, plutôt gros et il n’était pas ce qu’on considérerait comme un homme attirant, mais Bernie était un homme à femmes - il avait toujours plus que sa part de femmes, il avait été marié trois fois et venait juste de se trouver une jeune femme de 30 ou 40 ans sa cadette. Hitchcock était un homme très réservé qui voulait avoir des aventures extra-conjugales, mais était effrayé de le faire. Il devenait vieux et Bernie arrivait avec sa nouvelle épouse, c’était juste une nouvelle épine dans le flanc d’Hitch. Après le clash avec Hitchcock, Bernie a déménagé en Angleterre avec sa femme et ils s’installèrent dans une jolie maison sur Regent’s Park. Ils ont recueilli un chien abandonné sur Ventura Boulevard, qu’ils ont appelé Alpy, et Bernie sortait promener le chien tous les matins à cinq heures et il eut du travail. Ce n’était pas le genre de travail qu’il faisait auparavant, mais il a fait des films britanniques, un film de Harley Mills et deux autres films, et alors peu à peu, de jeunes gens commencèrent à lui écrire lui demandant s’il pouvait les aider, il a fait ainsi SISTERS pour Brian de Palma et il est revenu pour faire THE EXORCIST.


Il s’est rendu à New York. Je venais de terminer IT’S ALIVE et je persuadais les gens à la Warner qui le connaissaient de voir si il était disponible pour écrire la musique pour moi. Ils ont répondu qu’il ne l’était pas puisqu’il faisait THE EXORCIST. Il s’est envolé pour New York pour rencontrer Friedkin, qui lui a montré le film. Après quoi, Friedkin lui a dit, selon Bernie : « Je veux que vous m’écriviez une meilleure musique que pour CITIZEN KANE ». Ce fut la fin de leurs relations. Bernie est retourné en Angleterre et ils ont choisi des disques pour la bande son. Des gens au département musical de la Warner m’avaient dit que Bernie était reparti en Angleterre. Ils m’ont obtenu son numéro de téléphone et je l’ai appelé Outre-Atlantique et j’ai dit : « Écoutez, j’ai cru comprendre que vous pourriez faire un film », il a dit : » Bon, envoyez-moi le film ». Donc je lui ai envoyé un montage noir et blanc du film et quelques semaines plus tard, j’ai reçu un coup de fil de sa par disant: « J’aime ce film, je vais le faire ». On a conclu un marché et on s’est entretenu plusieurs fois au téléphone. On a eu une dispute. Il y a une scène où les personnages regardent la télévision qui diffuse un dessin animé de Road Runner. Je lui ai demandé s’il pouvait écrire une musique incidentale pour le dessin animé. Il m’a dit : « Je n’écris pas de musique pour les dessins animés, trouvez-vous un autre compositeur ». J’ai immédiatement répondu : « Une minute, ne m’abandonnez pas. Si vous ne voulez pas écrire de musique pour le dessin animé, n’en écrivez pas. J’utiliserai des effets sonores ou quelque chose comme ça. On ne va pas se quitter pour quelque chose comme ça. Vous écrivez ce que vous voulez. Je ne vais pas passer derrière pour vous dire quoi écrire. Écrivez ce que vous voulez écrire et je suis sûr que j’en serai content. » Il a dit : « Voulez-vous assister aux sessions d’enregistrement ? ». J’ai répondu : « Je viendrai si vous voulez que je vienne ». Il a dit : « Bien entendu, que je souhaite que vous teniez ». Ainsi, directement, sans avoir à lui forcer la main, j’étais invité. C’est pourquoi je m’y suis rendu plus comme une personne invitée que comme quelqu’un cherchant à exercer son autorité sur lui.


C’est alors que nous nous rencontrâmes. On s’est rendu à sa maison, on l’a rencontré ainsi que sa femme, et à la fin de la journée, il nous a dit que nous devrions nous installer à Londres et nous sommes restés huit ou neuf mois et nous le voyions trois à quatre fois par semaine. Chaque jour, il téléphonait. Il devenait comme le grand-père, il appelait tous les jours pour prendre des nouvelles des enfants et de tout le monde. Je ne pouvais pas le croire, c’était un être si doux, si gentil, et quand il est mort tout le monde disait qu’il était terrible et difficile. Même aux funérailles, tout le monde fit des remarques sur son caractère difficile, peu agréable et autoritaire. Et ce n’était pas là le Bernie que nous connaissions. Nous le connaissions comme une tout autre personne qui n’aurait pas pu être plus douce.


Une chose étrange est qu’il détestait Universal pour s’être mis entre lui et Hitchcock, et lorsqu’il est revenu aux Etats-Unis, où l’ont-ils logé ? À l’arrière des studios Universal avec une fenêtre qui surplombait tout le lotissement. Il pouvait ainsi voir le bungalow de Hitchcock de sa fenêtre. Et c’est là qu’il est mort—sur le lotissement d’Universal. Ironie étrange. Le lendemain, nous reçûmes un appel de l’amie de Martin Scorcese, ils avaient rendez-vous pour le petit-déjeuner avec lui, et il avait été trouvé mort. Nous sommes venus immédiatement. Il y avait John Williams et on a ramené Norma, sa femme. Elle est restée chez nous un certain temps après sa mort et tout le monde est venu lui présenter les condoléances après les funérailles. Ainsi, nous avions De Palma, Scorcese et tous ces gens. Ils étaient tous présents pour le traditionnel repas. Truffaut n’est pas venu. Il s’est comporté de manière étrange aux funérailles, il se tenait éloigné du lieu du service religieux, très discret. Tous les autres étaient au premier rang, il s’est glissé pour le service et s’est écarté de nouveau. Je pense qu’il arrivait directement de Paris. Je lui ai parlé et il a dit : « Non, je ne peux pas venir, j’ai un avion ». Je pense donc qu’il est venu directement pour le service funèbre et est reparti immédiatement.


Les autres sont venus et le Rabbin voulait avoir un Mynian. Dans la religion Judaïque, dix adultes mâles doivent être présents pour dire une prière. Pour avoir une congrégation, il faut avoir dix hommes juifs âgés de plus de 13 ans. Le Rabbin cherchait donc à avoir ces prieurs et il ne pouvait pas trouver dix hommes juifs dans ce groupe, la plupart étant des non-juifs. Finalement, il décida de faire quand même la prière. Il distribua les Yamulkas, les coiffe-têtes, et De Palma en pris une, et Robert De Niro, et Scorcese, et Norman Lloyd, et nous tous formèrent un cercle dans la salle de séjour. De Palma demanda : « Que dois-je faire ? », je dis : « Vous secouez juste votre tête un peu, comme ça, de haut en bas ». Ils y avaient donc tous ces Italiens faisant un cercle comme des Juifs dans mon séjour, rendant un hommage funèbre à Bernard Herrmann. J’aurais aimé en garder une photo. Bernie l’aurait adoré.




Il est mort la veille de Noël, et sa femme est venue pour le dîner de Noël, elle a fait un dessin de tous les convives et elle a dessiné Bernie aussi. Bien qu’il soit mort la veille, elle l’a dessiné parmi le groupe. En dehors des films, vous avez ces relations personnelles et ce sont des choses personnelles qui sont importantes et qui en font l’intérêt. Je sais que si je n’avais pas fait qu’écrire de scénarios, je serais ici porte fermée et je n’aurais pas connu tous ces gens. Pour moi, le fait d’avoir rencontré tous ces gens merveilleux est l’un des grands plus au fait d’avoir fait ces films. La même chose avec Miklós Rózsa, qui est réellement en homme merveilleux. Ce sont là des grands hommes que vous rencontrez en dehors de ce travail.

Traduction : Denis Bricka 
Publié à l’origine dans Soundtrack Magazine Vol.11 / No.42 / 1992 
Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur, Luc van de Ven

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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