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Ben-Hur : A Tale of the Christ

Quentin Billard

Célèbre péplum de William Wyler et classique mythique du cinéma  américain de 1959, Ben-Hur : A Tale of the Christ s’inspire du roman  du général américain Lew Wallace écrit en 1880 et adapté à l’origine au  théâtre en 1899 avant d’être porté une première fois au cinéma en 1926,  réalisé par Fred Niblo - qui avait alors parmi ses assistants de  l'époque un très jeune William Wyler. Ironie du sort, ce sera le même  Wyler qui, quelques décennies plus tard, adaptera à son tour la pièce en  un grand film épique et spectaculaire dépassant les 3h30. Ben-Hur : A  Tale of the Christ raconte l’histoire célèbre de Judas Ben-Hur  (formidable Charlton Heston dans le plus grand rôle de toute sa carrière  !), prince de Judée qui va défier un jour son ancien ami d'enfance le  tribun romain Messala (Stephen Boyd) pour avoir fait emprisonner  injustement sa mère et sa soeur à la suite d'un incident que Ben-Hur n'a  pas commis. Jeté dans les galères des prisonniers, Ben-Hur réussit à  s'échapper lors d'une attaque de pirates et retourne à Rome pour  accomplir sa vengeance. Il y retrouve sa fiancée Esther (Haya Harareet)  et affronte finalement Messala lors d’une course de char qui vire au  drame. Piétiné et écrasé par ses chevaux, Messala agonise sur son lit de  mort et annonce alors à Ben-Hur que sa mère et sa soeur ont attrapé la  lèpre, une maladie inguérissable à cette époque. Esther, la fiancée de  Ben-Hur, lui affirme alors connaître un homme capable de les guérir, cet  homme n’étant nul autre que Jésus Christ. Mais Ponce Pilate vient tout  juste de le condamner à mort, et il est désormais trop tard. Près de 40  ans plus tard, Ben-Hur reste toujours aussi spectaculaire et  imposant. La légendaire course de chars vers le milieu du film demeure  encore aujourd’hui un pur moment d'anthologie cinématographique, comme  le film en lui-même d'ailleurs. Il faut dire que Ben-Hur était à  l'époque le film de tous les records : un budget colossal de 15 millions  de dollars (énorme pour l'époque), des formats techniques innovants  pour l'époque - filmé en Panavision avec un négatif d’origine au format  large de 65mm, 4 mois de tournage pour filmer l'inoubliable course de  chars, une authentique galère romaine entièrement reconstruite dans son  intégralité, près de 40 scripts écrits à l'origine, 400000 figurants qui  apparaissent dans le film et un triomphe monumental lors de la remise  des Oscars en 1960 avec 12 nominations, 11 Oscars et 4 Golden Globes -  un record ex-æquo avec Titanic et Lord of the Rings : Return of  the King. Le film permit alors de sauver financièrement la MGM qui  était à cette époque au bord de la faillite, et reste encore aujourd’hui  considéré comme l’un des plus grands films de tous les temps.


Légendaire  compositeur de l'âge d'or hollywoodien, Miklos Rozsa a accompli un  travail colossal sur Ben-Hur : A Tale of the Christ. Plus qu'une  simple partition musicale pour un péplum, Rozsa a dû mener un véritable  travail d’historien de la musique pour tenter de se rapprocher le plus  possible du contexte musical de l’époque à laquelle se déroule le film.  Utilisant bien évidemment toutes les ressources d’un grand orchestre  symphonique, Miklos Rozsa a construit une partition colossale autour  d’une poignée de grands thèmes nombreux véhiculés à travers tout le  film. Les nombreuses séquences spectaculaires ne manquent pas dans cette  musique :  la naissance de Jésus, la parade des chars avant la course,  les marches romaines, la bataille des galères, la victoire de Ben-Hur à  la course des chars (on sent d’ailleurs ici les influences de la musique  de Rozsa sur l’esthétique des Star Wars de John Williams), la  sinistre séquence funèbre du chemin de croix de Jésus sans oublier le  magnifique final du film avec le miracle de la pluie qui purifie les  visages de Miriam et Tirzah après la mort du Christ sur la croix : que  de moments inoubliables qui, musicalement, sont portés par chaque note  du compositeur avec une certaine grâce et un lyrisme classique constant.


L'ouverture  de Ben-Hur reste tout bonnement imposante. Elle nous plonge  d’emblée dans l'ambiance épique du film de William Wyler. Miklos Rozsa  utilise une technique musicale qui deviendra systématiquement associé  aux Romains dans le film, c'est-à-dire l’utilisation de quintes  parallèles, un intervalle aux consonances médiévales/archaïques que  l'harmonie classique moderne interdit ensuite dans ses traités. Ainsi,  toutes les nombreuses fanfares qu'a écrit Rozsa pour les marches  romaines sont basées autour de ce principe de quinte à vide en  parallèle, qui résonnent avec une certaine dureté et une rigidité  évoquant non seulement l'aspect historique de l'époque mais aussi la  suprématie de l’empire romain. Ces marches pompeuses apportent un côté  cérémonial, martial et spectaculaire à la partition de Rozsa. Elles  demeurent très imposantes, en particulier grâce à un pupitre de cuivres  très utilisé pour le caractère guerrier/militaire des fanfares (qui  évoquent à maintes reprises Richard Wagner !). L'ouverture annonce alors  d’emblée le thème de Ben-Hur après une fanfare très cuivrée nous  plongeant directement dans l'ambiance du film. Le thème décrit en  réalité la soif de vengeance de Ben-Hur, justifiant alors son côté dur  et déterminé. Puis, pour l’inévitable séquence de l’épilogue, on assiste  à la naissance du Christ. Miklos Rozsa annonce alors ici le deuxième  grand thème de sa partition, le thème des rois mages, mélodie  majestueuse aux accents populaires interprété magnifiquement ici par les  cordes dans toute leur splendeur, et associé dans le film au miracle  que représente la naissance de Jésus Christ sur terre.


Ben-Hur s’impose tout au long de l’écoute par la richesse et la variété de ses  différentes émotions. Emerveillement avec la naissance du Christ et les  rois mages, tristesse avec les moments dramatiques où Miriam et Tirzah  sont devenus lépreuses et doivent se cacher dans la vallée des lépreux,  séquence qui suggère toute l'amertume et la haine au coeur de Ben-Hur,  mais aussi passages plus romantiques entre Ben-Hur et Esther - des  passages qui restent toujours très stéréotypés et conventionnels, mais  en tout cas parfaitement écrit dans un style postromantique 19èmiste du  plus bel effet ! Reste que la partie guerrière est toujours aussi  imposante : le défilé des chars s’avère être très prenant, avec cette  longue marche cuivrée, sans oublier l'excitante bataille des galères -  autre passage incontournable de la partition de Ben-Hur ! A ce  propos, Rozsa introduit d’ailleurs cette séquence au son d’un rythme  martial enlevé qui rappelle beaucoup le fameux « Mars » des « Planètes »  de Gustav Holst (référence musicale incontournable au cinéma américain  !). Cette excellente séquence musicale est suivie des coups de marteaux  censés apporter le rythme aux rameurs de la galère afin de faire avancer  le bateau. La musique de Rozsa suit alors astucieusement dans ce  passage le rythme des marteaux, n'hésitant pas à devenir de plus en plus  tendue voire stressante alors que les rythmes de marteaux s'accélèrent  pour la vitesse d'attaque. Reste que la bataille des galères est un  moment d'action incroyablement excitant, d’une puissance redoutable -  autant à l’écran que sur l’album - un grand moment de musique en somme !


Miklos  Rozsa utilise d'autres thèmes tout au long de sa partition. On retrouve  ainsi l'inévitable « Love Theme » lyrique et sirupeux, celui de la  vengeance de Ben-Hur mais aussi un thème aux consonances juives pour  illustrer le retour de Ben-Hur à Jérusalem, lorsqu'il revient chez lui  en Judée. La thématique de la partition de Ben-Hur demeure solide,  riche et inspirée, magnifiquement construite, équilibrée et bien amenée.  On retrouve à travers tout ces thèmes les principales idées du film :  la vengeance, la passion, la lutte, la ferveur, et ce même si le point  le plus important de l'oeuvre de Rozsa reste sans aucun doute  l’incroyable reconstitution historique que le musicien a fait à partir  d'une écriture symphonique très stylée (et aussi très stéréotypée !) qui  impose une vision musicale colossale et titanesque de l'empire Romain à  l'époque de Ben-Hur, une vision musicale qui ne pouvait naître qu’à  travers les pages de l’un des plus grands maîtres du Golden Age  hollywoodien. La dernière partie du film, celle concernant les deux  lépreuses (la mère et la soeur de Ben-Hur) s’avère être radicalement  plus sombre. Miklos Rozsa fait alors appel à des cordes amples et denses  afin de retranscrire de manière très sombre la souffrance de Ben-Hur et  celle de Miriam et Tirzah. La musique commence à résonner de façon  particulièrement sombre et dramatique après le passage où le geôlier  trouve Miriam et Tirzah au fond de leur cellule, devenues lépreuses. La  musique devient alors quasiment terrifiante. La musique de la séquence  dans la vallée des lépreux reste désespérée, sombre, dramatique. Rozsa  utilise le pupitre des cordes agrémentées de couleurs tragiques et  sombres que le compositeur obtient par exemple en utilisant un jeu  d'harmoniques sur les cordes du plus bel effet.


Mais la véritable  surprise de la partition de Ben-Hur reste sans aucun doute la  superbe finale du film. Alors que le Christ meurt sur sa croix après  avoir été crucifié, un terrible orage se déclenche. La pluie tombe et  coule sur Miriam et Tirzah qui, miraculeusement, sont guéries de la  lèpre. Cette séquence est évidemment symbolique : elle représente le  pouvoir de la foi en Dieu. Le miracle de la guérison est une sorte de  cadeau du ciel pour récompenser cette foi poignante, la pluie ruisselant  sur le sol étant ici aussi un élément symbolique, image de l'eau qui  purifie, qui lave les souillures, qui nettoie l'homme de ses pêchés. Et  pour illustrer ce miracle, Miklos Rozsa utilise alors un choeur  grandiose au milieu de l'orchestre afin de conférer à cette scène un  caractère religieux indissociable de cette grande conclusion, une coda  grandiose, véritable hymne aux miracles divins - à noter qu’il était de  coutume à cette époque de conclure la plupart des péplums bibliques sur  des choeurs religieux !


Ben-Hur : A Tale of the Christ reste  au final une partition immense et démesurée, aux orchestrations  magnifiques, servie par ses cuivres imposants et ses cordes lyriques  typiques de Miklos Rozsa, illustrant la puissance de l'empire romain et  de ses puissantes légions de centurions. Le compositeur nous offre sur  le film de William Wyler une excellente reconstitution musicale de  l’histoire à travers un style symphonique emprunté au répertoire  postromantique allemand du 19ème siècle (Wagner, Strauss, Mahler), une  approche conventionnelle et stéréotypée pour l’époque qui peut paraître  aujourd’hui un peu datée, mais qui s’adaptait pourtant à merveille à la  richesse visuelle et à la virtuosité technique de la superproduction de  William Wyler. Quoiqu'il en soit, Ben-Hur : A Tale of the Christ  restera à jamais une oeuvre majeure dans le monde de la musique de film,  un chef-d'oeuvre épique et classique de l'âge d'or hollywoodien où tous  les moyens étaient bons pour imposer à l’écran une écriture symphonique  resplendissante et flamboyante, chose devenue beaucoup plus rare de nos  jours. Un chef-d'oeuvre incontournable de la musique de film, tout  simplement !

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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