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El Cid

Quentin Billard

Grand classique des films épiques hollywoodiens des années 60,  El Cid est un grand spectacle épique dans la plus pure tradition du  genre. Inspiré de la célèbre tragi-comédie de Corneille, la grosse  production d'Anthony Mann met en scène Charlton Heston dans la peau du  célèbre Rodrigo Diaz de Bivar alias 'El Seid' (ou 'Le Cid'), célèbre  héros espagnol qui participa à l'histoire de la reconquête de l'Espagne  par les rois de Castille au 11ème siècle. Le pays est alors agité par  les guerres de conquête opposant les chrétiens et les musulmans dirigés  par le tyrannique Ben Yussuf (Herbert Lom). Un jour, le chevalier  Rodrigo Diaz de Bivar se rend à son mariage avec sa promise Chimène  (Sophia Loren), accompagné par ses hommes armés. Sur le chemin, ils sont  attaqué dans un village chrétien par une troupe de maures qu'ils  réussissent alors à neutraliser. Rodrigo ramène alors ses prisonniers à  Bivar, son fief héréditaire, mais par compassion chrétienne, il décide  de leur laisser la vie sauve, se heurtant ainsi à l'incompréhension du  comte Ordóñez (Raf Vallone), héraut du roi excédé par la décision de  Rodrigo, alors que le comte était chargé de ramener et d'exécuter les  prisonniers. En guise de remerciement, les maures surnomment alors  Rodrigo 'El Cid', 'le seigneur', en témoignage de sa grande générosité.  De retour à la cour du roi Ferdinand (Ralph Truman), Rodrigo alias 'El  Cid' est accusé de trahison et perd de ce fait la main de Chimène, la  fille du champion du roi, le comte Gormaz (Andrew Cruickshank). Lorsque  ce dernier souille l'honneur du père de Rodrigo, ce dernier ne voit  qu'une seule issue pour venger l'honneur de son père: défier le champion  du roi. Au cours du duel, Rodrigo tue le champion et perd complètement  l'amour de Chimène, qui jure à son tour de venger la mort de son père.  Rodrigo devient alors le nouveau champion du roi et fera tout pour  sauver son royaume et défendre ses sens aigu de l'honneur. Pendant ce  temps, Chimène cherche un moyen d'éliminer celui qui a tué son père,  sans jamais vraiment y arriver, perdu entre sa haine pour son ancien  fiancé et son amour lointain. Après la mort du roi, les deux princes  héritiers se disputent le trône. Le prince Alfonso (John Fraser) fait  alors assassiner son frère aîné, le prince Sancho (Gary Raymond) afin de  devenir le nouveau roi d'Espagne. Mais cet assassinat obligera alors El  Cid à désavouer son roi et à s'exiler du pays. Dans son exil, Rodrigo  part avec Chimène, avec qui il s'est réconcilié pour fonder une famille,  loin de la guerre et de la royauté. Il ne faudra alors que peu de temps  pour que Rodrigo soit alors rejoint par ses anciens compagnons qui lui  sont restés fidèles, et qui réclament son aide pour venir sauver le  royaume d'Espagne, menacé par les troupes de Ben Yussuf. Rodrigo accepte  de se battre pour les intérêts de la couronne d'Espagne, à condition  qu'il fasse avouer publiquement au roi Alfonso qu'il a infâme qu'il a  commis pour monter sur le trône. Cet évènement ne fera alors  qu'amplifier l'hostilité entre le Cid et le roi à qui il prête de  nouveau allégeance, tout en restant fidèle à ses idéaux. Commence alors  la longue et périlleuse bataille pour libérer Valence des troupes  maures, bataille dans laquelle El Cid brillera en tant que véritable  héros.


Fidèle à la tradition des grandes fresques épiques  hollywoodiennes des années 60, El Cid est sans aucun doute l'un des  films les plus grandioses d'Anthony Mann, une grosse machine  hollywoodienne particulièrement longue pour un film de ce genre (près de  3 heures, ce qui s'avérerait être tout bonnement impossible  aujourd'hui!), avec d'énormes moyens (7000 figurants, 10000 costumes, 35  navires en taille réelle pour la bataille finale, 50 catapultes, etc.)  et un casting de qualité, dans lequel Charlton Heston s'impose une fois  encore dans le rôle magistral du célèbre héros espagnol courageux et  idéaliste. La star donne aussi la réplique à l'excellente Sophia Loren,  dont le jeu oscille durant toute la première partie du film entre la  haine et l'amour avec une maestria rare. Anthony Mann explore la  personnalité et les sentiments de ses différents protagonistes  principaux et nous peint avec justesse l'Espagne du 11ème siècle, entre  ses conflits pour l'unité espagnole et ses querelles de pouvoir. Mais  c'est évidemment la bataille finale à Valence qui a assuré à elle toute  seule toute la réputation du 'Cid', une bataille finale titanesque  magnifié par le Technicolor de l'époque et par la mise en scène  spectaculaire du réalisateur, avec un Charlton Heston au sommet de  l'héroïsme et du courage (il n'hésite pas à se lancer une dernière fois  dans la bataille, même mortellement blessé par une flèche ennemie).  Evidemment, le film risque fort de s'avérer particulièrement long et  insipide pour tout ceux qui sont allergiques aux grosses productions  épiques de l'époque. Il n'empêche que El Cid demeure malgré tout un  film de référence dans le cinéma hollywoodien des années 60.


Miklos  Rozsa était décidément un habitué des musiques de grosses productions  épiques, lui qui, au début des années 60, avait déjà à son actif  quelques grandes partitions majeures telles que Ben-Hur, Julius  Caesar, King of Kings, Quo Vadis? ou Ivanhoe. La partition  symphonique pour El Cid demeure l'une des oeuvres de référence de  Miklos Rozsa, sans être forcément la meilleure partition qu'ai put  écrire le compositeur pour le cinéma hollywoodien de cette époque.  Appliquant la bonne vieille recette 'à film épique, musique épique',  Rozsa sort l'artillerie lourde avec un gros orchestre dominé par les  cuivres, les cordes, les vents, les percussions et quelques touches  hispanisantes de guitare. Dès l'excellent 'Prelude', Rozsa dévoile ses  principaux thèmes avec le thème principal, majestueux et entraînant,  associé à l'héroïsme et la bravoure de El Cid. On notera ici les  quelques touches mélodiques hispanisantes typiques de la partition de  El Cid. Le second thème est associé à la romance avec Chimène, un  'Love Theme' traditionnel qui possède un côté quelque peu majestueux et  tourmenté à la fois avec ses cordes amples, évoquant l'idée  d'amour/haine qui s'empare de Chimène après la mort de son père. Le  prélude finit de manière plus douce avec un hautbois soliste, quelques  cordes et une guitare, le tout baignant dans une ambiance orchestrale  qui n'est pas sans rappeler les grandes partitions orchestrales de  Manuel De Falla. Comme d'habitude, Rozsa fait preuve d'un savoir-faire  exemplaire et nous le prouve dès cette superbe introduction qui annonce  les deux thèmes principaux du score, et qui serviront d'axes majeurs à  sa partition.


La fanfare introductive de 'Overture' est tout à  fait typique des grandes fanfares typiques des musiques de péplums  hollywoodiens des années 50/60, écrite dans la plus pure tradition  symphonique du genre avec un pupitre de cuivres particulièrement présent  et des percussions martiales où intervient un tambourin pour le côté  hispanisant de la musique. Après une introduction plus mélancolique aux  cordes, vents et guitare évoquant le fait que Rodrigo a perdu la main de  Chimène après avoir été accusé de trahison (permettant ainsi à Rozsa de  développer le 'Love Theme'), 'Courage and Honor' évoque la scène du  duel opposant Rodrigo et le père de Chimène, scène accompagnée à grand  renfort de percussions, de cuivres massifs et de percussions déchaînées  retranscrivant la violence de l'affrontement. Dans un genre plus  majestueux, 'Fight for Calahorra' accompagne avec brio la scène de la  joute dans laquelle Rodrigo se bat pour son roi, la scène étant  introduite avec une fanfare héroïque du plus bel effet, la pièce  développant un style orchestral plus enjoué et déterminé, avec le style  orchestral cuivré majestueux et les harmonies modales typiques de Miklos  Rozsa, qui a véritablement contribué à son tour au succès du film  d'Anthony Mann grâce à la brillance et l'énergie de sa partition  symphonique. Les séquences d'intérieur du palais royal sont illustrées  par de la 'source music' originale, à commencer par 'Palace Music 1' qui  fait intervenir une très belle reprise du 'Love Theme' entre Chimène et  Rodrigo au violoncelle, tandis que la 'source music' de 'Palace Music  2' fait intervenir un solo de harpe et une flûte dans un dialogue  apaisant du plus bel effet (dans un style musique de cour), tandis que  'Palace Music 3' dévoile une guitare et des cordes plus chaleureuses  associées à Chimène et Rodrigo.


L'aventure reprend le dessus dans  'Road To Asturias' avec un excellent contrepoint entre les cuivres et  les cordes pour l'un des principaux morceaux d'action massif du score.  Rozsa développe avec une grande habileté différentes cellules aux  tournures mélodiques hispanisantes associées au Cid pour une scène  d'embuscade au milieu du film où Rodrigo témoigne une fois encore de sa  bravoure et de son courage (d'où une superbe reprise finale du thème  principal à la fin du morceau). Alternant ainsi entre action/aventure et  romantisme, Miklos Rozsa apporte autant à l'un comme à l'autre avec un  sens toujours aussi aiguisé du développement de ses différents motifs  mélodiques et de ses orchestrations. Ainsi, 'Wedding Night' (scène du  mariage tardif entre Chimène et Rodrigo) nous permet de retrouver la  partie plus romantique du score que Rozsa développe de manière  tourmentée, comme pour évoquer les sentiments confus et torturés de  Chimène à l'égard de son mari. Les cordes se veulent ici plus amères,  plus ambiguës, le thème romantique étant repris à la fin du morceau par  un violoncelle solitaire du plus bel effet. Pour la scène de la  célébration du couronnement dans 'Coronation', Rozsa sort les fanfares  royales pompeuses habituelles avec cuivres majestueux et marche  solennelle. On ne pourra alors pas passer à côté du très beau 'Love  Scene', pour la scène d'amour entre Rodrigo et Chimène dans la dernière  partie du film après la séquence de l'exil. Rozsa développe ici le 'Love  Theme' avec une série de variations mélodiques et instrumentales du  plus bel effet incluant un violoncelle et une guitare accompagnées par  les cordes et les vents. Le ton de la musique se veut ici plus  romantique, plus apaisé, avec ces touches mélodiques hispanisantes qui  permettent d'unifier stylistiquement la partition de 'El Cid'. On notera  au passage une magnifique reprise du thème romantique par un violon  soliste qui apporte à la scène un classicisme d'écriture raffiné certes  fort conventionnel mais de très bon goût bien qu'un peu daté à l'écran  ('Love Scene' est de loin l'un des plus beaux morceaux de toute la  partition du 'Cid').


On entre alors dans la dernière partie du  film introduite par 'El Cid March', lorsque le Cid et ses fidèles alliés  marchent pour délivrer Valence des griffes des maures. Accompagné par  un rythme martial excitant, 'El Cid March' est sans aucun doute l'une  des plus puissantes et des plus entraînantes fanfares de tout le score  de Rozsa, développant un solide thème de marche évoquant la grandeur et  la détermination du personnage de Charlton Heston. La musique fonctionne  à merveille à l'écran dans la sensation qu'elle procure au sujet de  l'héroïsme et de la force morale et physique du Cid. C'est donc sans  surprise que l'on arrive au massif 'Battle of Valencia', superbe pièce  d'action guerrière pour près de 7 minutes de déchaînement orchestral  accompagnant avec force la séquence de la bataille finale à Valence.  Rozsa met en avant les cuivres sur fond d'ostinato martial qui n'est pas  sans rappeler par moment le célèbre ostinato du 'Mars' des 'Planètes'  de Gustav Holst. Le compositeur n'a pas son pareil pour écrire des  musiques d'action orchestrales massives et déchaînées, et l'excitant et  intense 'Battle of Valencia', véritable tour de force orchestral,  n'échappe pas à la règle, avec ses cuivres déchaînés, ses crescendos de  tension et ses incessants changements rythmiques qui donnent du fil à  retordre aux musiciens. Le funèbre 'Death of El Cid' reprend pour finir  le 'Love Theme' aux cordes et violoncelle en guise d'adieu final au  grand héros et sa compagne avant le superbe 'Legend and Epilogue', coda  grandiose qui conclut l'opus sous une forme solennelle et élégiaque où  Rozsa ajoute à l'orchestre un orgue et un choeur reprenant le thème  final sous sa forme la plus grandiose, tout en ajoutant ici une touche  quasi religieuse à cette superbe conclusion en guise d'hommage à la  mémoire d'un grand héros.


Oeuvre clé dans la filmographie de  Miklos Rozsa, El Cid est une grande partition symphonique dédiée à  l'aventure et à la romance, deux concepts que le compositeur a toujours  su parfaitement magnifier dans ses grandes musiques hollywoodiennes des  années 50/60. Sans être LE chef-d'oeuvre inégalable du compositeur (le  score s'avère être très conventionnel et parfois lourd lorsque le  compositeur lâche ses fanfares pompeuses habituelles), El Cid n'en  demeure pas moins un score de qualité qui témoigne des recherches  musicales et du soin apporté à la musique par les compositeurs du  'Golden Age' hollywoodien. Il est fort regrettable qu'il n'existe  toujours pas à l'heure actuelle d'édition intégrale de cette grande  fresque symphonique hollywoodienne, un score qui semble avoir marqué les  esprits et apporté au film d'Anthony Mann grandeur et puissance. A  noter qu'il existe deux enregistrements, une première version de 11  pistes contenant 42 minutes de musique (sur plus de 2h30 de musique,  c'est peu!), et un réenregistrement plus intéressant de 15 pistes (64  minutes de musique environ) interprété par le New Zeland Symphony  Orchestra, conduit par James Sedares. C'est peu, mais cela nous aidera  au moins à patienter en attendant une future ressortie intégrale de la  partition de Miklos Rozsa. Pour faire court: El Cid est tout bonnement  un grand classique de la musique de film hollywoodienne!

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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