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Eye of the Needle

Quentin Billard

Deux ans avant le célèbre ‘Return to the Jedi’, le réalisateur  britannique Richard Marquand nous offrait un thriller de grande facture,  adapté d’un roman de Ken Follett (qui, curieusement, est originaire de  la même ville que le réalisateur, en Angleterre). ‘Eye of the Needle’  (L’arme à l’oeil) se déroule durant la seconde guerre mondiale, en  Angleterre. Un redoutable et imprenable espion allemand nommé Heinrich  Faber (Donald Sutherland) traverse le pays pour récolter des  informations sur le débarquement allié et les transmettre à l’état-major  d’Hitler. Un jour, Faber découvre le subterfuge organisé par les alliés  pour faire croire aux allemands à un débarquement sur les côtes du  Pas-de-Calais et prend des photos compromettantes. Mais les agents de  Scotland Yard sont à ses trousses, alors que le général Eisenhower a été  mis au courant des activités de l’espion allemand et demande à ce que  ce dernier soit stoppé à tout prix avant qu’il ne soit trop tard et que  le débarquement allié soit compromis. Faber échappe à plusieurs attaques  et réussit à s’enfuir un volant une moto puis un bateau. Mais ce  dernier s’échoue en pleine tempête aux larges des côtés de Storm Island,  près de l’écosse. Faber est alors recueilli par un couple, David  (Christopher Cazenove) et Lucy (Kate Nelligan). Après avoir passé un peu  de temps chez le couple, Faber (qui a rendez-vous avec un sous-marin  allemand pour rejoindre son QG et remettre en main propre les photos à  Hitler) finit par tomber amoureux de Lucy et réciproquement, la jeune  femme voyant en lui une source de réconfort et de tendresse pour oublier  un mari négligeant et froid. Mais un jour, David découvre la vérité au  sujet de Faber et tente de l’arrêter, mais en vain. Faber le tue en le  jetant du haut d’une falaise. Peu de temps après, Lucy découvre par  hasard le cadavre et comprend que son amant lui a menti depuis le début  et qu’il n’est pas celui qu’il prétend être. Elle va finalement devoir  tuer celui qu’elle aime avant qu’il ne soit trop tard, et que Faber  réussisse à rejoindre le sous-marin allemand.


‘Eye of the Needle’  est un thriller habile au scénario solide, qui se base autour d’une  histoire d’espionnage durant la seconde guerre mondiale pour finalement  rebondir sur une intrigue d’amants/ennemis. Richard Marquand insuffle à  son film un excellent suspense quasi Hitchcockien, servi par un Donald  Sutherland toujours aussi impeccable et une non moins excellente Kate  Nelligan. La séquence de l’affrontement final dans le phare est un pur  modèle de suspense et de mise en scène, comme au bon vieux temps des  thrillers d’Alfred Hitchcock. Il est clair que ‘Eye of the Needle’  possède un certain classicisme hollywoodien dans sa réalisation,  d’autant plus surprenant que le film ne date pourtant que de 1981. C’est  aussi l’occasion pour le réalisateur de nous offrir une tragique  histoire d’amour impossible entre une anglaise et un espion allemand qui  n’aurait jamais du tomber amoureux de cette femme. Un très bon film, en  somme!


‘Eye of the Needle’ fait partie des dernières grandes  partitions de Miklos Rozsa, qui, un an plus tard, en 1982, allait nous  offrir sa toute dernière partition pour un long-métrage hollywoodien,  ‘Dead Men Don’t Wear Plaid’ de Carl Reiner. Pour son avant-dernière BO,  le grand Rozsa nous livre une superbe partition thriller dans la grande  tradition du genre. Visiblement inspiré par le film de Richard Marquand  et malgré les graves problèmes de santé dont il souffrait régulièrement  depuis le début des années 80, Rozsa n’avait rien perdu de son talent et  de son inspiration et nous offrit une nouvelle solide partition  symphonique menée d’une main de maître, dans la continuité de ses  derniers scores thriller tels que ‘Time After Time’ ou ‘Last Embrace’.  Fidèle à la tradition des grandes ouvertures symphoniques à l’ancienne,  Rozsa débute sa partition avec une première exposition des trois thèmes  principaux du score de ‘Eye of the Needle’ dans l’excellent ‘Prelude’.  Le thème principal est alors exposé par des cordes sur un rythme martial  martelé aux caisses claires/timbales/cuivres et qui évoque l’univers de  guerre et d’espionnage du film avec un ton résolument sombre. Le second  thème apparaît ensuite, exposé par les cuivres puis repris par les  cordes, et qui se caractérise sous la forme d’un motif de 8 notes divisé  en deux groupes de 4 notes, motif associé au caractère sinistre et  imprenable du personnage de Donald Sutherland. C’est finalement le ‘Love  Theme’ qui conclut le ‘Prelude’, exposé ici par des cordes lyriques et  passionnées dans la grande tradition des thèmes romantiques  hollywoodiens à l’ancienne. Il est même assez amusant d’entendre une  musique aussi ‘Golden Age’ pour un film réalisé en 1981, une musique qui  reste assez anachronique pour son époque, preuve que quelque soit  l’époque, Miklos Rozsa est toujours resté fidèle à sa personnalité  musicale jusqu’au bout, sans jamais faire le moindre compromis.


Dès  lors, le ton est donné. La partition de Rozsa oscille entre suspense,  tension et passages romantique du plus bel effet. Si ‘English Wedding’  paraît plus terne pour la scène du mariage anglais au début du film,  ‘The Blond Agent - Blondie’s Agent’ évoque les premiers méfaits de  l’espion allemand avec une tension largement entretenue par l’écriture  orchestrale très soignée du compositeur et une série d’effets  d’imitation entre différents instruments, cordes, clarinettes, hautbois,  bassons, etc. Le motif de l’espion allemand reste présent pour la scène  où Faber tue l’un de ses contacts pour ne pas laisser de trace, le  motif étant joué dans la seconde partie du morceau par des cordes graves  pesantes qui suggèrent la menace du personnage et son côté tueur  impitoyable. La pièce finit de façon plus excitante et frénétique avec  un premier bref passage d’action du plus bel effet. On retrouve une  ambiance tout à fait similaire dans la scène des photographies dans le  sombre ‘Camouflage’ où Rozsa développe à loisir l’obsédant motif de  l’espion et un second motif tout aussi menaçant qui parcourt l’ensemble  de la séquence (avec toujours ces astucieux effets d’imitation entre les  différents instruments de l’orchestre, souvent entre les cuivres et les  vents), porté par une atmosphère d’espionnage tendue du plus bel effet.  Rozsa impose un suspens très présent tout au long du film, une tension  qui rappelle par moment son célèbre score pour ‘Spellbound’ d’Alfred  Hitchcock. ‘Love Scene’ nous permet alors de respirer un peu en  découvrant le ‘Love Theme’ dans toute sa splendeur pour la scène d’amour  entre Faber et Lucy, entièrement porté par ces cordes passionnées et  irrémédiablement romantiques. Rozsa développe son approche romantique  sur le très beau ‘Passion-Love Theme’ qui illustre la passion naissante  entre l’anglaise et l’espion allemand, avec une touche de mélancolie  alors que le thème est ici exposé par un violoncelle soliste et repris  par des cordes langoureuses, et qui évoque quelque part cet amour  impossible entre les deux individus.


Le score de ‘Eye of the  Needle’ nous propose aussi quelques superbes morceaux d’action d’une  intensité rarement atteinte chez Miklos Rozsa, avec une férocité  orchestrale exemplaire. Ainsi, ‘The Fight’ s’avère être un déchaînement  orchestral parfaitement maîtrisée dans lequel des variantes du thème  principal et du motif de l’espion s’affrontent justement lors de la  scène où Faber affronte David au bord d’une falaise. L’intensité de ‘The  Fight’ et du jeu des percussions, des cuivres et des cordes ne peut que  renforcer à l’écran la tension qui se dégage de cette scène  d’affrontement assez violente. ‘The Fight’ reste incontestablement le  morceau d’action le plus excitant et le plus frénétique de toute la  partition de Rozsa. La tension monte d’un cran avec ‘Frantic Drive –  Despair’ où le motif de Faber est exposé pour un bref morceau d’action  avant de se conclure sur un passage nettement plus dramatique et  résolument sombre et pesant. ‘The Broken Heart – Revulsion’ confirme  cette approche dramatique et sombre avec une reprise sombre et froide du  thème de ‘English Wedding’ qui n’annonce rien de bon ici alors que Lucy  a découvert la vérité au sujet de la réelle identité de l’homme qu’elle  aime. La scène où Lucy est contrainte de faire l’amour avec Faber pour  qu’il ne se doute de rien est accompagnée par un morceau absolument  terrifiant, à faire froid dans le dos. La musique de Rozsa transforme  cette scène d’amour en une sorte de viol, avec ses cuivres dissonants et  martelés et ses cordes profondément agitées qui évoquent le dégoût de  Lucy pour celui qu’elle croyait aimer et qui a assassiné son mari. On  arrive ainsi inévitablement à ‘Escape’, lorsque Lucy tente de s’enfuir  avec sa fille pour échapper à Faber et alerter les autorités. Nouveau  morceau d’action frénétique et parfaitement excitant, ‘Escape’ nous  permet de retrouver une série de variantes du thème de l’espion et du  thème principal, Rozsa faisant inévitablement monter la tension tout au  long de la scène de la fuite en voiture en pleine nuit, avec une  écriture orchestrale toujours bouillonnante, un contrepoint toujours  très élaboré et un souci constant du rythme. La confrontation finale  dans la cabane au bord de la falaise nous permet de découvrir un dernier  morceau d’action brutal et captivant qui fait monter la tension entre  une Lucy terrorisée et un Faber déterminée. Un nouveau rappel quasi  désespéré du ‘Love Theme’ aux cordes rappelle l’amour désormais  impossible entre les deux amants qui se font aujourd’hui la guerre entre  eux, pour citer les paroles du personnage de Donald Sutherland vers la  fin du film. La tension culmine dans le sombre et agité ‘Retribution’,  ultime morceau d’action du score d’une efficacité redoutable dans cet  affrontement final quasi désespéré, filmé avec maestria par Richard  Marquand, et qui se conclut par une ultime reprise du thème romantique  cette fois-ci considérablement assombri et totalement dénué d’espoir.


La  coda de la partition, ‘Finale – Epilogue’, se propose de conclure cette  brillante partition symphonique sur une reprise du thème principal dans  une conclusion plus majestueuse et quasi triomphante qui nous permet  finalement de respirer, avant de terminer définitivement sur une  nouvelle reprise du très beau ‘Love Theme’ affecté et passionné suivi  d’une coda héroïque typiquement hollywoodienne. La conclusion s’impose  donc d’elle-même, ‘Eye of the Needle’ est sans aucun doute l’une des  dernières grandes partitions symphoniques de Miklos Rozsa, qui, à l’âge  de 74 ans, n’avait rien perdu de sa fougue et de son inspiration. Grand  maître de la musique symphonique du ‘Golden Age’ hollywoodien, Rozsa  aura fait perdurer ce style jusqu'au début des années 80 à une époque où  la plupart des compositeurs commençaient à délaisser ce style et à se  tourner vers les technologies plus modernes ou les musiques  avant-gardistes plus audacieuses. Résolument tournée vers le passé, la  BO de ‘Eye of the Needle’ porte un souffle symphonique indissociable de  la personnalité musicale de ce très grand compositeur que fut Miklos  Rozsa et qui, avec le film de Richard Marquand, nous offrait l’un de ses  derniers chef-d’oeuvres pour le cinéma hollywoodien!

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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