The 7th Voyage of Sinbad

Quentin Billard

Grand  classique du cinéma d’aventure hollywoodien des années 50, « The 7th  Voyage of Sinbad » (Le septième voyage de Sinbad) met en scène le héros  mythique Sinbad, jeune prince de Bagdad, aux prises avec un magicien  maléfique sur une île peuplée de créatures étranges. Sinbad (Kewin  Matthews) échoue avec son équipage sur une île mystérieuse peuplée de  monstres fabuleux mais néanmoins dangereux. C’est alors que le héros et  ses compagnons sauvent le magicien Sokura (Torin Thatcher) poursuivi par  un gigantesque cyclope. A son retour à Bagdad, Sinbad épouse alors la  princesse Parisa (Kathryn Grant). Leur union permettra ainsi de sceller  un pacte de paix et d’amitié entre leurs deux royaumes. Au cours de la  cérémonie, le calife demande alors à Sokura de lui prédire l’avenir,  mais le magicien révèle des présages tellement négatifs qu’il se fait  sévèrement renvoyer par le calife et se retrouve obligé de quitter la  ville comme un malpropre. Furieux, le magicien prépare sa vengeance et  jette alors un sort à la jeune princesse Parisa, qui se réveille alors  réduite à la taille d’un rongeur. Le magicien, qui cache décidément bien  son jeu, explique à Sinbad que s’il veut sauver sa bien-aimée, il devra  l’accompagner sur son île afin de trouver le remède qui lui permettra  de retrouver sa taille normale. C’est le début d’une nouvelle grande  aventure pour Sinbad et ses amis. Réalisé par Nathan Juran en 1958, «  The 7th Voyage of Sinbad » est une grande production d’aventure typique  des superproductions hollywoodiennes de l’époque. Le film est surtout  connu pour ses superbes effets spéciaux extrêmement spectaculaires pour  l’époque, assurés par le vétéran Ray Harryhausen, grand spécialiste du  genre à Hollywood entre les années 40 et 80. Certes, le film a pris un  bon coup de vieux mais il continue néanmoins de se regarder avec un  certain plaisir, un grand classique du cinéma d’aventure servi par un  superbe mélange de romance, de créatures monstrueuses, de scènes de  combat et de décors grandioses. « The 7th Voyage of Sinbad » contient  même quelques scènes d’anthologie pure comme celle de l’affrontement  entre Sinbad et le cyclope géant : un grand moment de cinéma !


La  partition symphonique sombre et mouvementée de Bernard Herrmann reste à  son tour un véritable classique du genre, apportant un souffle épique  appréciable au film de Nathan Juran. Le compositeur attitré des films  d’Alfred Hitchcock s’essaie donc sur « The 7th Voyage of Sinbad » à  l’exercice de la musique d’aventure épique, le film marquant la première  de ses quatre collaborations avec le duo de producteurs Charles H.  Scheer/Ray Harryhausen sur une série de films incluant, en plus de ce  long-métrage, « The Three Worlds of Gulliver » (1960), « Mysterious  Island » (1961) et « Jason and the Argonauts » (1963). Avec « The 7th  Voyage of Sinbad », Herrmann a saisi l’opportunité de déséquilibrer sa  formation orchestrale habituelle en créant des rapports de forces  singuliers entre certains pupitres de l’orchestre, tout en privilégiant  certains instruments solistes généralement peu mis en valeur (célesta,  glockenspiel, xylophone). Ceci deviendra d’ailleurs l’une des  principales marques de fabrique du compositeur. Herrmann n’en est pas à  son premier coup d’essai dans le genre du film d’aventure épique,  puisqu’il avait déjà abordé ce registre dans « Beneath the 12-Mile Reef »  (1953), pour lequel il convoquait déjà une formation orchestrale  étonnante et atypique (9 harpes). Devant la quantité de musiques à  écrire pour le film, Bernard Herrmann s’est vu contraint de réutiliser,  pour les besoins du film, d’anciennes mélodies provenant de son  répertoire des années de jeunesse à la CBS, et plus particulièrement des  thèmes pour « The Arabian Nights » (1934) et sa pièce de concert  inachevée « Egypt-A Tone Picture ». On a d’ailleurs souvent reproché à  l’époque au compositeur de repiquer ainsi d’anciennes mélodies de son  propre répertoire (Herrmann repris par exemple un thème du score de «  White Witch Doctor » dans sa partition pour « North by Northwest » en  1959), un fait justifié bien souvent par le manque de temps, la pression  des studios et la quantité souvent colossale de musique à écrire pour  les grosses productions hollywoodiennes de cette envergure.


Bernard  Herrmann opte donc sur « The 7th Voyage of Sinbad » pour une approche  résolument symphonique et mélodique, plus accessible que certaines  autres partitions écrites à l’époque, mais en conservant toutefois une  certaine nuance sur le jeu autour des orchestrations et des couleurs  instrumentales parfois très singulières. Ainsi, loin de céder pleinement  aux contraintes hollywoodiennes, Herrmann parvient à trouver un juste  équilibre entre les conventions musicales du genre et son propre point  de vue artistique, élaborant ainsi une grande partition d’une richesse  impressionnante. Le score de « The 7th Voyage of Sinbad » repose avant  tout sur une série de thèmes associés aux principaux personnages du film  - des thèmes qui, comme toujours chez Herrman, restent assez courts et  concis, le compositeur ayant déjà déclaré plusieurs fois à l’époque ne  pas aimer les mélodies trop longues ou trop développées. On découvre  ainsi l’indispensable thème principal associé aux exploits héroïques de  Sinbad dans le film (« Overture »), un thème romantique associé à la  princesse Parisa (« The Princess »), un motif agressif et enragé pour le  cyclope géant et un motif de menace et de danger. Le thème principal  est dévoilé sans surprise dans le superbe « Overture/The Fog », un thème  héroïque et aventureux qui se distingue par son martèlement  systématique de trois notes percussives suivies d’une phrase mélodique  descendante (la construction habituelle d’antécédent/conséquent), le  tout répété en marche harmonique descendante. Fidèle à son goût pour des  motifs courts, Herrmann développe ainsi son thème pour Sinbad tout au  long de l’aventure en jouant sur l’orchestration, la mélodie passant  ainsi d’un groupe d’instrument à un autre (les cuivres et les  percussions étant mis en valeur ici). Dans « The Princess », Herrmann  dévoile le thème romantique associé à la princesse Parisa, un thème aux  consonances orientales envoûtantes et un brin mystérieuses, non dénuées  d’une certaine sensualité. Le thème de la princesse est ici dominé par  des cordes plus élégantes avec un passage plus typique du compositeur  pour les bois graves (clarinette basse), la harpe et le vibraphone - des  couleurs instrumentales typiques d’Herrmann, avec une mélodie élégante  qui rappelle clairement le lyrisme passionné de « Vertigo » (1958).


On  découvre le motif menaçant et agressif du cyclope à la fin de « The  Princess » pour le premier morceau d’action du score, lorsque Sinbad est  ses compagnons affrontent pour la première fois le cyclope au début du  film et sauve le magicien (le film nous offrant ainsi la première grande  séquence de stop-motion réalisée par le génial Ray Harryhausen !).  Herrmann utilise ici l’orchestration avec une plus grande inventivité :  prédominance des percussions (cymbales, timbales à profusion, etc.),  absence des cordes, cuivres graves massifs (avec des effets de  flatterzunge vrombissants aux trompettes en sourdine), mélange de  harpe/célesta/vibraphone, etc. Herrmann développe donc ici le motif de  cuivres du cyclope avec un ton à la fois guerrier et agressif du plus  bel effet, en privilégiant le registre grave des cuivres (cors,  trombones, tuba, et doublures à la clarinette basse et aux bassons), une  sorte de fanfare sombre et massive indissociable du cyclope dans le  film. Le compositeur n’évite pas non plus les traditionnelles danses  orientales typiques de ce type de film, comme c’est le cas dans « The  Trumpets » pour la scène du retour de Sinbad à Badgad. On retrouve ici  le thème romantique oriental de la princesse pour une scène de danse  envoûtante et sensuelle de toute beauté (à noter l’emploi assez  stéréotypé du tambourin ici). Même chose pour « Sultan’s Feast », qui  présente une autre scène de danse à partir cette fois-ci du thème  principal de Sinbad. A noter que la seconde partie du morceau dévoile le  motif du danger, motif de 4 notes ascendantes aux cors, qui  réapparaîtra à de nombreuses reprises dans le film pour évoquer les  dangers qui pèsent sur Sinbad et ses compagnons d’aventure tout au long  du film. Herrmann nous offre aussi un excellent morceau aux consonances  plus orientales pour la scène de la danse fantastique du cobra - avec  des effets orchestraux assez saisissantes, comme souvent chez le  compositeur. Poursuivant dans cette direction, Herrmann nous offre aussi  une excellente musique de danse aux consonances typiquement arabes dans  le hautbois envoûtant de « Street Music », une des « source music »  originales du score du film.


Le motif du danger est alors  développé dans « The Pool/Night Magic » où l’ambiance devient plus  mystérieuse et inquiétante, alors que le thème de la princesse reste  très présent, thème que l’on retrouve dans « Tiny Princess », pour la  miniaturisation magique de la princesse, thème que l’on retrouve dans «  Sinbad and Princess ». La fanfare de 3 notes de « The Trumpets » revient  de façon entêtante dans « Sinbad and Princess » et « The Ship » pour le  départ à l’aventure. Plus étonnant, « The Fight » ramène l’action avec  un morceau exclusivement écrit pour percussions : cymbales, caisse  claire, timbales, percussions ethniques diverses, etc. Comme toujours,  Bernard Herrmann se montre inventif dans le choix de ses orchestrations  et propose bien souvent des idées assez singulières pour illustrer  certains passages-clé du film. Dans le même ordre d’idée, on remarquera  la façon avec laquelle Herrmann renforce les couleurs sombres de son  orchestre lorsque les héros se retrouvent à nouveau sur l’île, dans le  sombre « The Skull » : ici, clarinette basses, cors, trombones et tuba  sont ici de la partie, avec quelques coups discrets de gongs, délaissant  encore une fois les cordes qui auraient risqué d’apporter une couleur  trop chaleureuse à cette scène de la découverte de la caverne au crâne.  On retrouve une atmosphère similaire dans « The Club » et « The Cave »,  qui introduit un nouveau motif entêtant de clarinettes et de cors,  répétés inlassablement. Le motif agressif et massif du cyclope revient  alors dans « The Capture », « Captured Part II » et « The Cage », qui  développent une atmosphère orchestrale plus sombre et maléfique,  débouchant sur l’explosion orchestrale barbare de « The Fight With The  Cyclops » pour l’affrontement contre les cyclopes, Herrmann mettant ici  l’accent sur des cuivres massifs et un pupitre de percussions très large  (incluant des gongs asiatiques provenant des gamelans traditionnels  javanais). Le motif du cyclope est alors malmené avec agressivité  jusqu’à ce que la créature soit finalement vaincue. Les cordes  reviennent alors furtivement pour ramener un peu de chaleur humaine dans  « The Latch » ou « The Cliffs ». On n’oubliera pas non plus de  mentionner la virtuosité orchestrale saisissante de « The Egg » pour la  séquence des oeufs dans la montagne. Enfin, la partition atteint l’un de  ses plus grands climax dans l’intense « The Request », 11 minutes  d’action et de tension pure traversé d’orchestrations virtuoses et  extrêmement inventives, et de développements thématiques denses.  L’action se prolonge dans « Transformation » et surtout « The Skeleton  », morceau incontournable de la partition dans laquelle Bernard Herrmann  s’amuse à pasticher la célèbre « Danse macabre » de Camille Saint-Saëns  pour la scène célébrissime où Sinbad affronte un squelette que le  magicien a ramené à la vie (le morceau trouvera d’ailleurs un écho  favorable à un passage absolument similaire dans « Jason and The  Argonauts »).


« The Skeleton » nous propose ainsi une utilisation  très imagée et inventive d’un mélange intéressant entre xylophone,  castagnettes et woodblocks, un morceau qui a imposé à Hollywood le  cliché musical du xylophone pour personnifier les squelettes. Herrmann  prend la scène très au sérieux et accompagne donc cette scène de duel à  l’épée avec une intensité incroyable, une sorte de danse macabre  maléfique devenue assez célèbre dans le monde de la musique de film  hollywoodienne et dans l’univers musical de Bernard Herrmann. L’action  reprend dans « Dragon and Cyclops, Finale » qui personnifie à merveille  le danger dans le film, alors que Sinbad affronte le sorcier à la fin du  film après avoir réussi à redonner sa taille normale à la princesse.  C’est l’occasion pour Herrmann de nous offrir quelques ultimes  déchaînements orchestraux barbares et enragés, comme pour la scène de  l’affrontement contre le dragon géant, débouchant sur une coda plus  optimiste reprenant une dernière fois le thème oriental de la princesse  et le thème principal de Sinbad. Bernard Herrmann nous propose donc une  partition épique et massive d’une ampleur impressionnante pour « The 7th  Voyage of Sinbad », sans aucun doute l’un des plus passionnants travaux  du compositeur dans le domaine des superproductions d’aventure épique.  Avec des orchestrations d’une inventivité incroyable et un goût très  prononcé pour des thèmes concis mais néanmoins mémorables, la partition  de « The 7th Voyage of Sinbad » est un classique incontournable de la  musique du Golden Age hollywoodien, un chef-d’oeuvre spectaculaire dans  la carrière de Bernard Herrmann, à découvrir sans plus tarder grâce à la  nouvelle édition 2CD publiée par le label Prometheus, contenant ainsi  la version originale complète sur le premier disque et la version de  l’album publié en 1958 pour le deuxième disque. Un grand classique de la  musique de film hollywoodienne, absolument incontournable !

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