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The Wrong Man

Quentin Billard

« The Wrong Man » (Le faux coupable) est  le dernier film que tourna Alfred Hitchcock pour le studio de la Warner  en 1956, après une série de long-métrages incluant « Rope » (1948), «  Under Capricorn » (1949), « Strangers on a Train » (1951), « Dial M For  Murder » (1954) ou bien encore « I Confess » (1953). Après « The Wrong  Man », Hitchcock retournera ensuite avec la Paramount Pictures et  Universal Pictures, pour lesquels il tournera ainsi quelques uns de ses  films les plus célèbres comme « Vertigo » (1958), « Psycho » (1960), «  North by Northwest » (1959) ou bien encore « The Birds » (1963). « The  Wrong Man » est l’un des rares films d’Alfred Hitchcock à avoir été  adapté d’une histoire vraie, inspirée du livre « The True Story of  Christopher Emmanuel Balestrero » de Maxwell Anderson (qui a d’ailleurs  co-écrit le scénario du film avec Angus MacPhail) et de l’article « A  Case of Identity » d’Herbert Brean paru en 1953 dans le magasine « Life  ». L’histoire resta même quasiment inchangée pour le film, un souci  incroyable de réalisme totalement anti-hollywoodien et très moderne pour  l’époque. Le film fut d’ailleurs salué dans un article publié dans les  Cahiers du Cinéma en 1957 par une critique particulièrement élogieuse de  Jean-Luc Godard et une autre de François Truffaut parue à la même  époque. « The Wrong Man » évoque ainsi l’histoire vraie de Christopher «  Manny » Emmanuel Balestrero (Henry Fonda), un modeste musicien de jazz  qui travaille en tant que contrebassiste dans le Stork Club à New York,  et qui décide un jour de se rendre au siège de sa compagnie d’assurances  afin de demander un prêt pour payer les soins dentaires à sa femme Rose  (Vera Miles). Mais sa vie bascule soudainement lorsque la  réceptionniste qui le reçoit l’identifie formellement comme étant  l’auteur du braquage de la banque survenu il y a quelques temps. Peu de  temps après, Manny est emmené par la police et interrogé dans les locaux  de la 110ème brigade new-yorkaise. Manny clame fort son innocence et  tente de convaincre ses accusateurs qu’il est lui-même victime d’une  terrible erreur d’identité, mais la machine judiciaire, implacable, est  déjà en route et le destin de Manny semble désormais bien sombre. Sa  femme Rose ne supporte pas de voir son mari traîné ainsi dans la boue et  tombera par la suite dans une grave dépression nerveuse, l’obligeant à  être internée quelques temps dans un hôpital psychiatrique, s’accusant  elle-même d’être responsable des malheurs de son mari. Quand à Manny, il  devra livrer une longue bataille judiciaire aux côtés de son avocat  maître O’Connor (Anthony Quayle) afin de réussir à prouver son  innocence, malgré le fait que toutes les preuves semblent l’accabler. «  The Wrong Man » a donc été conçu par Alfred Hitchcock comme une sorte de  fiction documentaire retraçant point par point l’histoire exacte de  Christopher Balestrero. Si le concept n’a rien de bien surprenant  aujourd’hui, il était en revanche beaucoup plus rare et assez moderne en  1956, surtout dans la filmographie d’un cinéaste peu habitué à tourner  des films inspirés de fait divers – à noter que le film débute par un  monologue présenté par le réalisateur lui-même et annonçant le fait que  le film raconte une histoire vraie.


Arborant un noir et blanc qui  renforce le côté ‘archive/documentaire’ du film, « The Wrong Man » est  un solide mélange entre suspense psychologique et drame intimiste,  entièrement servi par l’interprétation bouleversante de justesse d’Henry  Fonda et de Vera Miles. Mieux encore, le film est un pur chef-d’oeuvre  de mise en scène, Hitchcock abordant ici un de ses sujets de  prédilection, le faux coupable accusé à tort d’un crime (idée qui  culminera dans « North by Northwest » en 1959) et le thème d’un homme  ordinaire confronté à une situation extrême qui le dépasse totalement.  Inspiré par l’esthétique réaliste du cinéma européen de l’époque,  Hitchock expérimente lors de certaines séquences quelques effets comme  le cercle en vue subjective que fait la caméra lors de la scène où Manny  se retrouve enfermé dans une cellule, ou l’effet de rotation troublant  et angoissant lorsque Manny se retrouve dos au mur, terrifié à l’idée de  rester enfermé toute sa vie, effet qui traduit à ce moment là l’extrême  détresse et la malaise du personnage d’Henry Fonda. Mais le film vaut  surtout par l’incroyable performance de l’acteur principal, qui parle  peu tout au long du récit et semble subir passivement la situation sans  vraiment réaliser ce qui est en train de lui arriver. Hitchcock  substitue aux mots tout un long travail passionnant sur les regards qui  traduisent la grande détresse de Manny : le plan où Henry Fonda rentre  dans le tribunal en bougeant à peine ses lèvres lorsqu’il aperçoit sa  femme au fond de la salle rappelle encore une fois le mutisme du  personnage principal, totalement désemparé face à une situation aussi  improbable qu’irrémédiablement tragique. C’est grâce à cette force de  conviction et à un regard incroyablement expressif et lourd de sens  qu’Henry Fonda réussit à porter une bonne partie du film sur ses  épaules, tandis qu’Hitchcock parvient à éviter la routine laborieuse du  documentaire en maintenant un rythme continu et une mise en scène  parfois très inventive. On ressent toutes les émotions que le cinéaste  tente de nous faire partager ici, de l’angoisse lors de la séquence où  Manny est arrêté et interrogé par les policiers, de la claustrophobie et  de la détresse pour la scène dans la prison, et même du désespoir  lorsque Manny annonce enfin la bonne nouvelle à sa femme à la fin du  film, qui reste pourtant sourde à ce que lui affirme son mari et semble  s’être totalement déconnectée de la réalité suite à un immense choc  psychologique. Autre élément rare dans le film, la présence d’allusions  religieuses, notamment lorsque Manny garde son rosaire dans sa main lors  du procès, ou lorsque sa mère lui rappelle l’importance de prier pour  avoir la force d’affronter ces terribles épreuves. Et bien sûr, on  retrouve encore une fois chez Hitchcock des allusions au monde  psychiatrique avec une scène de sanatorium qui renvoie clairement à «  Spellbound » (1945), un monde qui semble avoir particulièrement fasciné  le cinéaste américain. Le résultat est donc tout bonnement épatant,  Alfred Hitchcock nous offrant avec « The Wrong Man » un très grand film  et peut être même l’un de ses films les plus personnels et les plus  déconcertants de sa période des années 50.


« The Wrong Man » a  été mis en musique par Bernard Herrmann, grand complice d’Alfred  Hitchcock qui signa là sa troisième partition pour un film du cinéaste  après « The Trouble with Harry » (1955) et « The Man Who Knew Too Much »  (1956). La partition d’Herrmann pour « The Wrong Man » n’est certes pas  la meilleure oeuvre du compositeur pour un film d’Hitchcock, mais le  résultat n’en demeure pas moins extrêmement réussi et représentatif de  la qualité de la collaboration Herrmann/Hitchcock. Pour les besoins du  film, Bernard Herrmann a décidé d’utiliser une instrumentation  relativement restreinte, utilisant essentiellement un orchestre de  taille moyenne principalement constitué d’une contrebasse soliste qui  joue quasi systématiquement en pizz (pour évoquer le personnage de  Manny, qui s’avère être un contrebassiste de jazz dans le film), d’un  ensemble de cuivres incluant des trompettes en sourdine, avec quelques  bois. En revanche, exit les cordes ici, qu’Herrmann a décidé de  supprimer, préférant se concentrer autour d’une formation à vent  (flûtes, clarinettes, clarinette basse, hautbois), avec cuivres, harpe  et contrebasse soliste – ce qui permet aussi d’accentuer, par le choix  de couleurs instrumentales exclusives, l’aspect noir et blanc du film,  un peu comme Herrmann le fera avec les cordes sur « Psycho » en 1960. Le  thème de « The Wrong Man » est exposé dès l’intro du film dans «  Hitchcock », un motif de deux notes énigmatique et menaçant caractérisé  par le son des trompettes en sourdine, principale caractéristique  musicale de la partition de Bernard Herrmann. Hormis une pièce de jazz  latino dansant dans l’excellent « Prelude » pour la scène dans le club  de jazz où joue Manny au début du film (sans aucun doute le morceau le  plus accessible de la partition de « The Wrong Man »), le reste du score  repose essentiellement sur une atmosphère de mystère et de suspense  assez minimaliste et toute en retenue. Dans « The Hallway », Herrmann  suggère le début des ennuis pour Manny avec ses pizz entêtant de  contrebasse et ses bois mystérieux et sombres, jouant bien souvent entre  le grave et le médium, morceau qui trouve écho dans « 5 AM », tandis  que « The Car » introduit à nouveau les cuivres en sourdine, avec un  mélange de trompettes et de cors dont la sonorité caractéristique et  particulière des sourdines apporte une ambiance vraiment très  particulière au film d’Hitchcock. Herrmann explore d’ailleurs à plus  d’une reprise le timbre assez spécifique des sourdines de trompettes ou  de cors dans de nombreux passages de la partition, lui permettant ainsi  de créer une atmosphère de trouble et de tension psychologique assez  pesante à l’écran. C’est là la grande trouvaille d’Herrmann sur « The  Wrong Man », qui possédait un sens décidément très personnel – et assez  génial – des orchestrations, qu’il savait adapter systématiquement à  chaque film qu’il mettait en musique.


« The Store » et « The  Second Store » jouent essentiellement sur le registre grave des bois  avec les pizz entêtant de la contrebasse solitaire, tandis que le motif  de deux notes est développé lentement ici par un mélange de clarinettes  basse assez inquiétant pour la scène où Manny se rend dans deux stores  afin d’être identifié par les commerçants. « Fingerprints » reprend le  motif sinistre avec la sonorité particulière des trompettes en sourdine  dont le grincement aigu crée une sensation de malaise évidente dans le  film, surtout dans la façon dont Herrmann fait progressivement monter  les notes des trompettistes vers le registre aigu. Herrmann accentue  même les effets de sourdine dans « The Cell I » et « The Cell II », où  la musique renforce l’atmosphère de malaise et de tension, notamment  dans les sonorités menaçantes des clarinettes basses et de la harpe dans  le grave, sans oublier l’omniprésente contrebasse soliste et ses  pizzicati entêtants associés au personnage d’Henry Fonda dans le film.  Le motif de deux notes devient encore plus sinistre dans « The Cell II  », où la musique bascule dans une anarchie quasi enragée lors de la  séquence du malaise simulée par un effet de rotation inventif de la  caméra lors de la scène où Manny est enfermé en prison, dos au mur. A  noter ici la façon dont Herrmann combine deux groupes de trompettes en  utilisant deux sourdines différentes, une « wa-wa » et une « bol »  (appelée aussi « cup mute » ou « sourdine muette »). Les deux groupes de  sourdine se répondent d’ailleurs tout au long de « The Cell II » à la  manière d’un système antiphonique, à travers un crescendo assez  terrifiant et angoissant. Dans « Police Van », Herrmann développe un  motif de clarinettes/harpe aux notes descendantes qui renforcent la  tension alors que Manny est emmené dans un camion de la police. A noter  ici les effets plus agressifs de ‘col legno’ de la contrebasse (on  frappe les cordes avec le bois de l’archet). A noter le retour des  sonorités grincantes et inquiétantes des sourdines quasi stridentes dans  « The Door », tandis que des morceaux tels que « The Tank/Handcuffs », «  The Telephone » et « Bob » développent une ambiance plus psychologique  et intime avec des harmonies de bois plus minimalistes et feutrées, très  réussies dans le film. La harpe devient plus présente dans « Farmhouse  », « Bridge » et « 3rd Floor », alors que Manny et Rose recherchent des  témoins pour le procès. L’atmosphère sombre et pesante du début se  prolonge dans « The Glove » et l’agressif « The Mirror », qui évoque la  folie de Rose lorsqu’elle frappe Manny avec un peigne. Les trompettes en  sourdine deviennent plus grinçantes que jamais ici, tandis que les  clarinettes et les flûtes tentent de calmer le jeu tout en renforçant le  malaise et la tension psychologique/dramatique de la séquence. On  notera l’omniprésence des bois dans le thème mélancolique de « The  Parting » et « Finale », dominé par un hautbois mélodique sur fond  d’harmonies graves de clarinettes.


Bernard Herrmann signe donc  une partition assez particulière pour « The Wrong Man », typique de sa  collaboration avec Alfred Hitchcock. La musique reste assez minimaliste  et retenue, bien mise en valeur dans le film, intervenant avec  parcimonie lors des moments-clé du récit tout en demeurant assez  répétitive et obsédante. Le score d’Herrmann apporte une vraie sensation  de trouble et de malaise psychologique dans le film sans jamais en  faire de trop, et ce grâce à une série de notes entêtantes et à une  utilisation remarquable des couleurs instrumentales, et plus  particulièrement des sourdines de trompettes. Voilà en tout cas un score  assez intéressant et un peu oublié de Bernard Herrmann, à redécouvrir  grâce à l’excellente édition CD de Film Score Monthly !

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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