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The 7th Voyage of Sinbad

Quentin Billard

Grand  classique du cinéma d’aventure hollywoodien des années 50, « The 7th  Voyage of Sinbad » (Le septième voyage de Sinbad) met en scène le héros  mythique Sinbad, jeune prince de Bagdad, aux prises avec un magicien  maléfique sur une île peuplée de créatures étranges. Sinbad (Kewin  Matthews) échoue avec son équipage sur une île mystérieuse peuplée de  monstres fabuleux mais néanmoins dangereux. C’est alors que le héros et  ses compagnons sauvent le magicien Sokura (Torin Thatcher) poursuivi par  un gigantesque cyclope. A son retour à Bagdad, Sinbad épouse alors la  princesse Parisa (Kathryn Grant). Leur union permettra ainsi de sceller  un pacte de paix et d’amitié entre leurs deux royaumes. Au cours de la  cérémonie, le calife demande alors à Sokura de lui prédire l’avenir,  mais le magicien révèle des présages tellement négatifs qu’il se fait  sévèrement renvoyer par le calife et se retrouve obligé de quitter la  ville comme un malpropre. Furieux, le magicien prépare sa vengeance et  jette alors un sort à la jeune princesse Parisa, qui se réveille alors  réduite à la taille d’un rongeur. Le magicien, qui cache décidément bien  son jeu, explique à Sinbad que s’il veut sauver sa bien-aimée, il devra  l’accompagner sur son île afin de trouver le remède qui lui permettra  de retrouver sa taille normale. C’est le début d’une nouvelle grande  aventure pour Sinbad et ses amis. Réalisé par Nathan Juran en 1958, «  The 7th Voyage of Sinbad » est une grande production d’aventure typique  des superproductions hollywoodiennes de l’époque. Le film est surtout  connu pour ses superbes effets spéciaux extrêmement spectaculaires pour  l’époque, assurés par le vétéran Ray Harryhausen, grand spécialiste du  genre à Hollywood entre les années 40 et 80. Certes, le film a pris un  bon coup de vieux mais il continue néanmoins de se regarder avec un  certain plaisir, un grand classique du cinéma d’aventure servi par un  superbe mélange de romance, de créatures monstrueuses, de scènes de  combat et de décors grandioses. « The 7th Voyage of Sinbad » contient  même quelques scènes d’anthologie pure comme celle de l’affrontement  entre Sinbad et le cyclope géant : un grand moment de cinéma !


La  partition symphonique sombre et mouvementée de Bernard Herrmann reste à  son tour un véritable classique du genre, apportant un souffle épique  appréciable au film de Nathan Juran. Le compositeur attitré des films  d’Alfred Hitchcock s’essaie donc sur « The 7th Voyage of Sinbad » à  l’exercice de la musique d’aventure épique, le film marquant la première  de ses quatre collaborations avec le duo de producteurs Charles H.  Scheer/Ray Harryhausen sur une série de films incluant, en plus de ce  long-métrage, « The Three Worlds of Gulliver » (1960), « Mysterious  Island » (1961) et « Jason and the Argonauts » (1963). Avec « The 7th  Voyage of Sinbad », Herrmann a saisi l’opportunité de déséquilibrer sa  formation orchestrale habituelle en créant des rapports de forces  singuliers entre certains pupitres de l’orchestre, tout en privilégiant  certains instruments solistes généralement peu mis en valeur (célesta,  glockenspiel, xylophone). Ceci deviendra d’ailleurs l’une des  principales marques de fabrique du compositeur. Herrmann n’en est pas à  son premier coup d’essai dans le genre du film d’aventure épique,  puisqu’il avait déjà abordé ce registre dans « Beneath the 12-Mile Reef »  (1953), pour lequel il convoquait déjà une formation orchestrale  étonnante et atypique (9 harpes). Devant la quantité de musiques à  écrire pour le film, Bernard Herrmann s’est vu contraint de réutiliser,  pour les besoins du film, d’anciennes mélodies provenant de son  répertoire des années de jeunesse à la CBS, et plus particulièrement des  thèmes pour « The Arabian Nights » (1934) et sa pièce de concert  inachevée « Egypt-A Tone Picture ». On a d’ailleurs souvent reproché à  l’époque au compositeur de repiquer ainsi d’anciennes mélodies de son  propre répertoire (Herrmann repris par exemple un thème du score de «  White Witch Doctor » dans sa partition pour « North by Northwest » en  1959), un fait justifié bien souvent par le manque de temps, la pression  des studios et la quantité souvent colossale de musique à écrire pour  les grosses productions hollywoodiennes de cette envergure.


Bernard  Herrmann opte donc sur « The 7th Voyage of Sinbad » pour une approche  résolument symphonique et mélodique, plus accessible que certaines  autres partitions écrites à l’époque, mais en conservant toutefois une  certaine nuance sur le jeu autour des orchestrations et des couleurs  instrumentales parfois très singulières. Ainsi, loin de céder pleinement  aux contraintes hollywoodiennes, Herrmann parvient à trouver un juste  équilibre entre les conventions musicales du genre et son propre point  de vue artistique, élaborant ainsi une grande partition d’une richesse  impressionnante. Le score de « The 7th Voyage of Sinbad » repose avant  tout sur une série de thèmes associés aux principaux personnages du film  - des thèmes qui, comme toujours chez Herrman, restent assez courts et  concis, le compositeur ayant déjà déclaré plusieurs fois à l’époque ne  pas aimer les mélodies trop longues ou trop développées. On découvre  ainsi l’indispensable thème principal associé aux exploits héroïques de  Sinbad dans le film (« Overture »), un thème romantique associé à la  princesse Parisa (« The Princess »), un motif agressif et enragé pour le  cyclope géant et un motif de menace et de danger. Le thème principal  est dévoilé sans surprise dans le superbe « Overture/The Fog », un thème  héroïque et aventureux qui se distingue par son martèlement  systématique de trois notes percussives suivies d’une phrase mélodique  descendante (la construction habituelle d’antécédent/conséquent), le  tout répété en marche harmonique descendante. Fidèle à son goût pour des  motifs courts, Herrmann développe ainsi son thème pour Sinbad tout au  long de l’aventure en jouant sur l’orchestration, la mélodie passant  ainsi d’un groupe d’instrument à un autre (les cuivres et les  percussions étant mis en valeur ici). Dans « The Princess », Herrmann  dévoile le thème romantique associé à la princesse Parisa, un thème aux  consonances orientales envoûtantes et un brin mystérieuses, non dénuées  d’une certaine sensualité. Le thème de la princesse est ici dominé par  des cordes plus élégantes avec un passage plus typique du compositeur  pour les bois graves (clarinette basse), la harpe et le vibraphone - des  couleurs instrumentales typiques d’Herrmann, avec une mélodie élégante  qui rappelle clairement le lyrisme passionné de « Vertigo » (1958).


On  découvre le motif menaçant et agressif du cyclope à la fin de « The  Princess » pour le premier morceau d’action du score, lorsque Sinbad est  ses compagnons affrontent pour la première fois le cyclope au début du  film et sauve le magicien (le film nous offrant ainsi la première grande  séquence de stop-motion réalisée par le génial Ray Harryhausen !).  Herrmann utilise ici l’orchestration avec une plus grande inventivité :  prédominance des percussions (cymbales, timbales à profusion, etc.),  absence des cordes, cuivres graves massifs (avec des effets de  flatterzunge vrombissants aux trompettes en sourdine), mélange de  harpe/célesta/vibraphone, etc. Herrmann développe donc ici le motif de  cuivres du cyclope avec un ton à la fois guerrier et agressif du plus  bel effet, en privilégiant le registre grave des cuivres (cors,  trombones, tuba, et doublures à la clarinette basse et aux bassons), une  sorte de fanfare sombre et massive indissociable du cyclope dans le  film. Le compositeur n’évite pas non plus les traditionnelles danses  orientales typiques de ce type de film, comme c’est le cas dans « The  Trumpets » pour la scène du retour de Sinbad à Badgad. On retrouve ici  le thème romantique oriental de la princesse pour une scène de danse  envoûtante et sensuelle de toute beauté (à noter l’emploi assez  stéréotypé du tambourin ici). Même chose pour « Sultan’s Feast », qui  présente une autre scène de danse à partir cette fois-ci du thème  principal de Sinbad. A noter que la seconde partie du morceau dévoile le  motif du danger, motif de 4 notes ascendantes aux cors, qui  réapparaîtra à de nombreuses reprises dans le film pour évoquer les  dangers qui pèsent sur Sinbad et ses compagnons d’aventure tout au long  du film. Herrmann nous offre aussi un excellent morceau aux consonances  plus orientales pour la scène de la danse fantastique du cobra - avec  des effets orchestraux assez saisissantes, comme souvent chez le  compositeur. Poursuivant dans cette direction, Herrmann nous offre aussi  une excellente musique de danse aux consonances typiquement arabes dans  le hautbois envoûtant de « Street Music », une des « source music »  originales du score du film.


Le motif du danger est alors  développé dans « The Pool/Night Magic » où l’ambiance devient plus  mystérieuse et inquiétante, alors que le thème de la princesse reste  très présent, thème que l’on retrouve dans « Tiny Princess », pour la  miniaturisation magique de la princesse, thème que l’on retrouve dans «  Sinbad and Princess ». La fanfare de 3 notes de « The Trumpets » revient  de façon entêtante dans « Sinbad and Princess » et « The Ship » pour le  départ à l’aventure. Plus étonnant, « The Fight » ramène l’action avec  un morceau exclusivement écrit pour percussions : cymbales, caisse  claire, timbales, percussions ethniques diverses, etc. Comme toujours,  Bernard Herrmann se montre inventif dans le choix de ses orchestrations  et propose bien souvent des idées assez singulières pour illustrer  certains passages-clé du film. Dans le même ordre d’idée, on remarquera  la façon avec laquelle Herrmann renforce les couleurs sombres de son  orchestre lorsque les héros se retrouvent à nouveau sur l’île, dans le  sombre « The Skull » : ici, clarinette basses, cors, trombones et tuba  sont ici de la partie, avec quelques coups discrets de gongs, délaissant  encore une fois les cordes qui auraient risqué d’apporter une couleur  trop chaleureuse à cette scène de la découverte de la caverne au crâne.  On retrouve une atmosphère similaire dans « The Club » et « The Cave »,  qui introduit un nouveau motif entêtant de clarinettes et de cors,  répétés inlassablement. Le motif agressif et massif du cyclope revient  alors dans « The Capture », « Captured Part II » et « The Cage », qui  développent une atmosphère orchestrale plus sombre et maléfique,  débouchant sur l’explosion orchestrale barbare de « The Fight With The  Cyclops » pour l’affrontement contre les cyclopes, Herrmann mettant ici  l’accent sur des cuivres massifs et un pupitre de percussions très large  (incluant des gongs asiatiques provenant des gamelans traditionnels  javanais). Le motif du cyclope est alors malmené avec agressivité  jusqu’à ce que la créature soit finalement vaincue. Les cordes  reviennent alors furtivement pour ramener un peu de chaleur humaine dans  « The Latch » ou « The Cliffs ». On n’oubliera pas non plus de  mentionner la virtuosité orchestrale saisissante de « The Egg » pour la  séquence des oeufs dans la montagne. Enfin, la partition atteint l’un de  ses plus grands climax dans l’intense « The Request », 11 minutes  d’action et de tension pure traversé d’orchestrations virtuoses et  extrêmement inventives, et de développements thématiques denses.  L’action se prolonge dans « Transformation » et surtout « The Skeleton  », morceau incontournable de la partition dans laquelle Bernard Herrmann  s’amuse à pasticher la célèbre « Danse macabre » de Camille Saint-Saëns  pour la scène célébrissime où Sinbad affronte un squelette que le  magicien a ramené à la vie (le morceau trouvera d’ailleurs un écho  favorable à un passage absolument similaire dans « Jason and The  Argonauts »).


« The Skeleton » nous propose ainsi une utilisation  très imagée et inventive d’un mélange intéressant entre xylophone,  castagnettes et woodblocks, un morceau qui a imposé à Hollywood le  cliché musical du xylophone pour personnifier les squelettes. Herrmann  prend la scène très au sérieux et accompagne donc cette scène de duel à  l’épée avec une intensité incroyable, une sorte de danse macabre  maléfique devenue assez célèbre dans le monde de la musique de film  hollywoodienne et dans l’univers musical de Bernard Herrmann. L’action  reprend dans « Dragon and Cyclops, Finale » qui personnifie à merveille  le danger dans le film, alors que Sinbad affronte le sorcier à la fin du  film après avoir réussi à redonner sa taille normale à la princesse.  C’est l’occasion pour Herrmann de nous offrir quelques ultimes  déchaînements orchestraux barbares et enragés, comme pour la scène de  l’affrontement contre le dragon géant, débouchant sur une coda plus  optimiste reprenant une dernière fois le thème oriental de la princesse  et le thème principal de Sinbad. Bernard Herrmann nous propose donc une  partition épique et massive d’une ampleur impressionnante pour « The 7th  Voyage of Sinbad », sans aucun doute l’un des plus passionnants travaux  du compositeur dans le domaine des superproductions d’aventure épique.  Avec des orchestrations d’une inventivité incroyable et un goût très  prononcé pour des thèmes concis mais néanmoins mémorables, la partition  de « The 7th Voyage of Sinbad » est un classique incontournable de la  musique du Golden Age hollywoodien, un chef-d’oeuvre spectaculaire dans  la carrière de Bernard Herrmann, à découvrir sans plus tarder grâce à la  nouvelle édition 2CD publiée par le label Prometheus, contenant ainsi  la version originale complète sur le premier disque et la version de  l’album publié en 1958 pour le deuxième disque. Un grand classique de la  musique de film hollywoodienne, absolument incontournable !

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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