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Psycho

Quentin Billard

Evoquer  « Psycho », célèbre chef-d’oeuvre du cinéma américain signé Alfred  Hitchcock, sans tomber dans les superlatifs élogieux, une tâche guère  aisée, surtout quand on sait à quel point ce film a connu un succès  phénoménal et acquis une grande popularité qui continue de traverser les  générations, de nombreuses décennies plus tard. Juste après « North by  Northwest » (1959), Alfred Hitchcock s’était remis en quête d’un nouveau  projet pour son 47ème long-métrage mais n’avait toujours pas d’idée  précise au sujet du scénario. C’est au cours d’un voyage en avion que le  cinéaste lu alors un roman intitulé « Psycho » du romancier américain  Robert Bloch et su très vite qu’il tenait là le sujet de son prochain  film. Hitchcock se mit alors rapidement au travail et décida, pour des  questions purement techniques (et visuelles) que « Psycho » serait  entièrement tourné en noir et blanc, avec un budget assez modeste. Le  film raconte l’histoire de Marion Crane (Janet Leigh), une jeune femme  qui, lasse de l’existence terne qu’elle mène entre son travail monotone  et son amant sans le sou, décide de dérober les 40 000 dollars que son  patron lui avait demandé de déposer à la banque. Après s’être enfuie  avec l’argent, Marion prend sa voiture et commence à angoisser, paniquée  à l’idée de se faire prendre. Une pluie incessante l’oblige alors à  s’arrêter sur le chemin près d’un motel géré par le sympathique Norman  Bates (Anthony Perkins), qui doit supporter le caractère tyrannique de  sa mère qui vit à l’étage du dessus. Après avoir dîné en compagnie de  Norman, Marion retourne dans sa chambre dissimuler soigneusement  l’argent. Puis elle décide de prendre une douche pour se détendre, et  c’est le drame. Norman surgit et la poignarde à mort. 


Tout  a déjà été dis sur « Psycho ». Chef-d’oeuvre incontesté du 7ème art, le  film d’Alfred Hitchcock fut le tout premier thriller de l’histoire du  cinéma, une œuvre visionnaire qui traumatisa le public de 1960 par sa  très célèbre séquence d’anthologie cinématographique pure : le meurtre  dans la douche. C’était effectivement la première fois qu’un réalisateur  montrait une séquence de meurtre d’une façon aussi crue à l’époque, une  sacré prise de risque de la part du cinéaste lorsqu’on sait à quel  point Hollywood a toujours été contrôlé par les grands organismes de  censure américains (la MPAA) et le fameux Code Hays qui régissait la  plupart des productions cinématographiques de l’époque. Cette scène a  suffit à elle-même à faire rentrer « Psycho » dans la culture populaire,  constamment citée ou parodiée dans des tas de films ou de séries TV.  Quand à Anthony Perkins, son interprétation magistrale de Norman Bates  lui permit ainsi de se faire un nom dans le monde du cinéma, même si  curieusement, sa carrière ne décolla pas vraiment par la suite (Norman  Bates fut un rôle véritablement maudit pour l’acteur, qui lui colla à la  peau toute sa vie et l’empêcha de se voir proposer d’autres types de  rôle par la suite, chose qui finit par rendre fou l’acteur américain).  En bref, « Psycho » reste sans aucun doute l’un des films les plus  importants du monde du cinéma, un classique incontournable qui continue  encore de traverser les générations avec une aisance incroyable.


Bernard  Herrmann retrouva encore une fois Alfred Hitchcock après avoir écrit  les partitions de ses films precedents : « The Trouble with Harry »  (1955), « The Man Who Knew Too Much » (1956), « The Wrong Man » (1956), «  Vertigo » (1958) et « North by Northwest » (1959). Fidèle à son gout  pour des instrumentations bien souvent insolites et très personnelles,  Bernard Herrmann eut d’abord l’idée d’écrire la musique de « Psycho »  pour un orchestre à cordes seules, débarrassé des vents, des cuivres et  des percussions. Ce choix audacieux allait aussi de pair avec  l’utilisation du noir et blanc dans le film et renforçait le côté  monochrome des couleurs de l’image. En utilisant uniquement les couleurs  des instruments à cordes, Herrmann a bâtie une très solide partition  essentiellement basée sur le suspense et la tension. Ainsi, le film  s'ouvre au son du célèbre thème principal exposé aux cordes (« Prelude  »), une mélodie rapide et très rythmée reconnaissable à son motif de  notes rapides jouée en staccato, avec ses violoncelles/contrebasses en  ponctuation martelées de façon obsédante. Le jeu plus incisif des cordes  apporte un réel sentiment d’urgence et de danger alors que l’idée du  noir et blanc est déjà présente à l’écran : tandis que les titres  apparaissent progressivement (nom du réalisateur, noms des acteurs,  titre du film, etc.) sur un fond noir, des lignes blanches viennent  hacher l’écran de façon plutôt étrange. Le jeu incisif des cordes va  alors de paire avec ces lignes qui semblent évoquer un couteau coupant  l’écran en plusieurs segments, une astuce qui prouve encore une fois la  richesse inventive de la collaboration Hitchcock/Herrmann. A noter que  le thème principal se construit en réalité en deux phrases bien  distinctes, la première avec ses notes staccatos rapides, et la seconde,  plus contrastée, avec des notes plus longues jouées legato. Jouant  habilement sur l’idée du contraste, la forme bipartite du thème  principal d’Herrmann rappelle clairement le noir et le blanc des images :  encore une fois, très astucieux et bien trouvé de la part du  compositeur !


Le thème principal représente l'angoisse  paranoïaque et la peur de Marion Crane, morceau que l'on entend surtout  au début du film, lorsque le personnage incarné par Janet Leigh dérobe  l'argent que son directeur lui a confié et s’enfuit ensuite en voiture  (« Flight », « Patrol Car »). La peur de Marion d'être arrêtée par le  mystérieux policier qui la suit nous renvoie inexorablement à ce thème  angoissant, apportant une force tout particulière au film. On notera  d’ailleurs plusieurs passages très mystérieux entendus au début du film,  lorsque l'on voit Marion cacher son argent dans un journal, un morceau  de cordes plus mystérieux qui représente l'ambigüité du personnage. La  scène où l’on aperçoit Marion à l’hôtel au début du film (« City ») nous  permet aussi de retrouver une ambiance de cordes plus mystérieuse et  latente, essentiellement bâtie ici sur des harmonies modales plus  complexes et inquiétantes, dont le style rappelle beaucoup le fameux «  Divertimento pour cordes » de Bartok (sans aucun doute l'une des  inspirations majeures du compositeur pour la musique de « Psycho »).  Herrmann nous fait clairement comprendre que quelque chose de grave va  finir par arriver mais sans apporter encore à ce moment du film le  moindre sentiment d’agression ou de danger - d’où le caractère latent de  la musique dans cette scène. Des morceaux comme « Marion » ou « Marion  and Sam » paraissent refléter une mélancolie plus douce et distante,  liée à la psychologie du personnage de Jason Leigh. L’idée de la  tentation est même braillement suggérée avec l’apparition de notes plus  mouvantes dans le très psychologique « Temptation », une idée que l’on  retrouvera aussi dans « Package » avec son utilisation plus nuancée des  pizzicati. Cette idée de musique psychologique latente et sombre se  retrouve dans des morceaux tels que « Madhouse » ou « Peephole ».  Herrmann traduit même l’idée de l’obsession perverse de Norman Bates en  faisant revenir à plusieurs reprises les mêmes phrases musicales d’un  morceau à un autre. L’idée de la répétition est bel et bien au coeur  même de la partition de « Psycho ». Mais le score de Bernard Herrmann  doit surtout sa popularité à l’incroyable musique de la scène de la  douche, « Murder », pièce purement atonale et extrêmement organique, une  ambiance stressante et horrifique dans laquelle les glissandi suraigus  de cordes staccatos évoquent des cris stridents et terrifiants. Ces  glissandi suraigus évoquent aussi les coups de couteau qui s’avéreront  fatal pour la pauvre Marion Crane.


Le reste de la partition  d’Herrmann conserve une atmosphère tout à fait similaire, à la fois  pesante et macabre, conservant continuellement ce côté latent et  bouillonnant à la fois. On regrettera peut être, vers le milieu du film,  le manque de repère thématique évident, le thème principal étant très  peu utilisé vers le milieu et à la fin du film - à vrai dire, à partir  du moment où Marion se fait assassiner sous la douche, le thème  principal disparaît complètement, une idée originale et totalement  assumée par le compositeur dans le film. A noter que la partition  véhicule un sentiment de panique et de suspicion assez fort dans des  morceaux tels que « Water » ou « Clean Up », qui développent de façon  totalement similaire tout un jeu de trilles des cordes sur fond de notes  furtives particulièrement inquiétantes - on notera même que le tempo de  « Clean Up » est bien plus rapide que celui de « Water », accentuant  ici aussi la panique de Norman Bates qui cherche à faire disparaître le  corps de Marion Crane sans laisser la moindre trace derrière lui. La  musique devient alors plus angoissante et dissonante dans des morceaux  tels que « Swamp », « Porch » ou « First Floor », tandis que le  compositeur va même jusqu’à nous proposer une utilisation bien plus  avant-gardiste des cordes dans « Stairs », avec son lot de gargouillis  sonores de pizzicati aléatoires ou d’harmoniques des violons. La  partition aboutit à un climax plus enragé dans « Discovery » pour la  confrontation finale contre Norman Bates, dans lequel les cordes  s’avèrent être bien plus virtuoses, sans oublier le dissonant et  inquiétant « Finale » avec ses cordes aigues assez stressantes.


Malgré  le manque de relief d’un score monotone et répétitif totalement voulu  par le compositeur, le score de « Psycho » reste l’une des meilleures  partitions de Bernard Herrmann pour un film d’Alfred Hitchcock, une  partition extrêmement influente et un grand classique de la musique de  film, qui inspirera d’ailleurs bon nombre de compositeurs par la suite,  qui citeront constamment cette musique dans diverses oeuvres. Plus  intéressant encore, ce fut l’une des premières partitions orchestrales  de l’époque à nous proposer un style plus avant-gardiste et atonal à une  époque où le Golden Age hollywoodien était essentiellement soumis aux  lois de la musique néoclassique atonale. Certes, d’autres compositeurs  avaient déjà tenté ce genre d’expérience par le passé (Leonard Rosenman  en 1955 et sa partition dodécaphonique brumeuse pour « The Cobweb » de  Vincente Minnelli) mais Bernard Herrmann fut l’un des premiers à  officialiser vraiment ce type d’écriture plus moderne et « contemporaine  » pour un thriller à suspense de ce genre, une partition qui semble  avoir posé définitivement les codes de la musique à suspense, et à  laquelle la plupart des compositeurs se référeront automatiquement par  la suite. Indispensable, donc !

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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