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Time After Time

Quentin Billard

Bien avant le célèbre 'Back To The Future' de Robert Zemeckis,  le 'Time After Time' (C'était demain) de Nicholas Meyer (plus connu pour  avoir réalisé 'Star Trek II: The Wrath of Khan' en 1982) traitait déjà  du thème du voyage dans le temps, sujet que l'on doit au fameux  romancier anglais H.G. Wells qui se trouve être le héros de ce  thriller/science-fiction. Le scénario de ce film part sur une idée  folle: H.G. Wells (interprété ici par Malcolm McDowell), le 'père de la  science-fiction' moderne, auteur de 'The Time Machine', met au point la  machine à voyager dans le temps dans le but d'explorer le passé et le  futur de l'humanité. Or, il se trouve qu'au même moment, le célèbre  tueur Jack l'éventreur continue de semer la terreur en assassinant  sauvagement des prostitués des bas quartiers de Londres. La situation se  complique alors lorsque la police découvre que Jack l'éventreur n'est  autre que le médecin John Lesley Stevenson (David Warner), l'un des amis  de Wells. Jack/Stevenson n'a plus qu'une seule solution: s'enfuir à  bord de la machine à voyager dans le temps pour se réfugier dans le  20ème siècle, en 1979. Heureusement, la machine est faite pour revenir à  son point de départ lorsqu'on lui enlève sa 'clé', et c'est bien ce que  Wells a pensé à faire, si bien que la machine, ayant transporté Jack  dans le futur, revient ensuite en 1895, permettant alors à Wells de  l'utiliser à son tour pour se transporter en 1979 et poursuivre Jack  l'éventreur à travers les rues de San Francisco, aux Etats-Unis.  Commence alors une longue course contre la montre pour tenter d'arrêter  l'assassin qui découvre un nouveau siècle violent et toujours aussi  brutal. Entre temps, Wells va rencontrer Amy Robbins (Mary Steenburgen),  une jeune américaine qui travaille dans une banque. Entre Wells et Amy  va naître un grand amour qui sera pour Wells l'occasion de découvrir les  coutumes et la manière de vivre de ce nouveau siècle. Dans la vraie  vie, Amy Robbins fut la femme de H.G. Wells. Cette dernière mourut en  1927. Après sa mort, Wells écrivit 'The Shape of Things To Come' et  mourut à son tour à Londres, le 13 Août 1946.


'Time After Time'  est un film assez spécial, à mi-chemin entre la science-fiction et le  thriller. Mélanger les deux grandes 'figures' anglaises que sont H.G.  Wells et le sinistre Jack l'éventreur était un projet assez osé, et  malgré le côté irréel de cette histoire, on ne peut qu'applaudir  l'exploit accompli par le futur réalisateur de 'Star Trek II'. Derrière  cette sombre histoire se cache aussi une parabole sur la sombre nature  de l'homme, une nature cruelle et primitive qui n'évolue pas de siècle  en siècle. En partant de son époque, des rêves plein la tête, Wells  pense que la société du futur sera forcément meilleure, harmonieuse et  plus paisible. Evidemment, il se trompait lourdement mais ne le savait  pas encore. Cette terrible expérience dans le futur sera pour lui  l'occasion de découvrir à quel point il a pu se tromper sur le compte de  l'homme: malgré l'essor technologique de cette nouvelle époque, le  20ème siècle fut encore plus brutal et sanguinaire que le siècle  précédent: deux guerres mondiales, une guerre au Viêt-nam, la  prolifération des armes aux Etats-Unis, etc. Certes, la 'démonstration'  que nous propose le réalisateur reste assez caricaturale, mais le propos  n'en est pas moins juste. Si le scénario a retenu le personnage de Jack  l'éventreur, c'était surtout pour renforcer cette parabole sur la  violence de l'homme: Jack se vante d'être à 'l'origine' du 20ème siècle.  Est-ce qu'à travers ses actes de barbarie le tueur voyait déjà ce que  le futur allait devenir? Il ne fallait certainement pas être un devin  pour comprendre que la situation de l'humanité n'allait pas s'améliorer  dans les temps à venir. Pourtant dans le film, Wells nous est décrit  comme un être optimiste, aux idées parfaitement utopiques, ce qui nous  conduit finalement au triste propos du film: l'homme est un être mauvais  et le restera à tout jamais, jusqu'à la fin des temps (l'histoire est  là pour nous l'apprendre). L'autre message du film est bien entendu  celui sur l'amour, ce grand Amour qui fait que la vie vaut la peine  d'être vécu malgré la profonde connerie de l'homme, et la romance entre  Wells et Amy est là pour nous le prouver. Une fois encore, et comme nous  l'avons déjà mentionné un peu plus haut, tout cela reste très  caricatural (le gentil amoureux, poli et optimiste, le méchant très  cruel et inhumain, etc.) mais le film nous convainc néanmoins par la  qualité de son scénario, les idées qui s'en dégagent et les effets  spéciaux impressionnants pour l'époque (la séquence du voyage dans le  temps vers le début du film est très impressionnante sur le plan  visuel). Une véritable surprise!


Pour les besoins de son film, le  réalisateur souhaitait renouer avec le son orchestral de l'âge d'or  Hollywoodien. Le film de Meyers (sa toute première réalisation) se situe  en pleine époque du renouveau du cinéma spectaculaire de  science-fiction, relancé par Georges Lucas et Steven Spielberg. En 1977,  Spielberg cartonnait avec 'Close Encounters of The 3th Kind'. La même  année, Lucas connaissait un succès international avec 'Star Wars'. Ces  deux grands monuments du cinéma de science-fiction ont contribués à  relancer cette vague d'un cinéma d'aventure proche de ce que l'on avait  pu connaître durant l'âge d'or Hollywoodien (la même année que 'Time  After Time', Ridley Scott tournait l'inoubliable 'Alien' tandis que  Robert Wise réalisait 'Star Trek: The Motion Picture'). C'est ce qui  explique probablement le fait que le réalisateur, passionné par la  musique du Golden Age Hollywoodien, ait voulu faire appel au grand  Miklos Rozsa, surnommé par certain béophile comme étant 'le dernier  grand compositeur romantique'. Malgré les qualités d'écriture  irréprochables de cette partition alternant aventure, action et  suspense, on ne peut s'empêcher d'être gêné par le style finalement  'vieillot' utilisé par Rozsa dans le film de Meyer. A l'écoute du score  de 'Time After Time' dans le film, on a l'impression d'entendre une  musique toute droit sorti d'un autre âge, d'une autre époque. Il y a un  sérieux décalage entre le style 'moderne' du film (plus tourné vers les  années 80) et le style 'ancien' de la musique, et ce décalage crée par  moment un certain malaise. Etait-ce donc la meilleure solution à  envisager pour la musique de film? Nous pourrons émettre quelques  réserves en nuançant néanmoins notre propos, puisque, à l'image des deux  personnages principaux du film, la musique de 'Time After Time'  s'échappe elle aussi de son 'époque' pour se retrouver dans une autre  époque, celle de 1979. C'est probablement dans cette optique là que la  musique du film a été pensé, et on ne peut qu'applaudir le compositeur  pour avoir réussi à élaborer une telle astuce, une telle gageure, même  si on est un peu gêné par le décalage apparent entre l'époque du film et  'l'époque' de la musique.


La partition symphonique de Rozsa  repose sur deux grands thèmes principaux, un excellent 'Love Theme'  typique du compositeur, décrivant la romance entre Wells et Amy. L'autre  thème est un sinistre motif descendant associé au tueur. Sa présence,  souvent opposé au matériau plus romantique de la partition crée une  sensation de malaise apparent: le mal est omniprésent et rôde tel un  prédateur à la recherche d'une nouvelle proie. Pour renforcer le son  'Golden Age Hollywoodien' de sa partition, Rozsa a tenu à faire débuter  le film au son de sa célèbre fanfare pour la Warner Bros, suivi du 'Main  Title' qui donne le ton de l'oeuvre, dans un style orchestral plutôt  ample privilégiant les cuivres, les cordes, quelques vents et quelques  percussions. On retrouve ici le son 19èmiste typique du compositeur, un  son qui coïncidence parfaitement avec le début du film qui se passe dans  les années 1890 à Londres. N'oublions pas que la musique symphonique de  cette époque était dominée en Allemagne et du côté de Vienne par Gustav  Mahler, Richard Strauss ou bien encore Anton Bruckner , qui allait  mourir en 1896. (Wagner étant mort en 1883). Bref, on débute le film en  pleine période Romantique et, à l'instar du score de Rozsa, on reste  dans ce style Romantique même après nous être transporté dans le San  Francisco de 1979.


Le début du film nous plonge dans une  atmosphère mystérieuse avec des cordes et des cuivres pesants qui  rappellent le style thriller typique du compositeur (qui nous renvoie  ici à ses musiques de thriller des années 40). Rozsa évoque alors les  premiers méfaits de Jack l'éventreur. Evidemment, on pense par moment au  style de Bernard Herrmann mais sans le côté lourd et appuyé des  orchestrations. On a véritablement à faire ici à du Rozsa au sommet de  son art (il continuera à composer jusqu'à la fin des années 90, et il  mourra en 1995). La terreur et le suspense sont deux éléments typiques  du score de 'Time After Time', et malgré le côté peu original de ces  morceaux de suspense/frisson (on est parfois très proche de 'Spellbound'  par exemple et d'une pièce telle que 'Terror On The Ski Run'), le  résultat à l'écran est assez saisissant. Si Rozsa maintient son  atmosphère de mystère tout au début du film jusqu'à la séquence du  voyage dans le temps où il fait appel à une écriture plus rythmé et  saccadée faisant intervenir les percussions, xylophone, cuivres, etc.,  c'est le romantisme qui apparaîtra dans la seconde partie de la  composition de Rozsa avec le fameux 'Time Machine Waltz', interprété au  piano par Eric Parkin pour la scène où Wells et Amy dînent ensemble au  restaurant. Le 'Time Machine Waltz' est en faite une reprise du 'Love  Theme' pour piano solo, un thème que Rozsa développera parfaitement à  l'orchestre par la suite (il aura même recours à une version avec violon  soliste et orchestre, digne de 'Double Indemnity').


Mais c'est  la partie suspense à la 'Spellbound' que l'on retiendra ici. L'action  apparaît dans un premier climax, l'excitant 'The Ripper/Pursuit' qui  s'avère être un premier grand tour de force orchestral de la part du  compositeur. Pour la première séquence de poursuite dans les rue de San  Francisco, Rozsa martèle une rythmique orchestrale excitante reposant  sur un rythmique frénétique allant crescendo jusqu'à l'issue de la scène  (Jack arrive à s'échapper). On notera la manière dont le compositeur a  recours aux cuivres (cors et trombones bien mis en avant avec les  trompettes) et aux percussions et à la façon dont il fait s'accélérer le  tempo du morceau jusqu'à la séquence où une voiture renverse un passant  qui ressemble à Jack. Un autre élément particulièrement marquant  apparaît dans le petit thème de boîte à musique que l'on entend toujours  de manière rituelle avant que Jack commette un meurtre. (ce petit motif  est diffusé sur sa petite montre/boîte à musique dont il ne se sépare  jamais) A noter la façon dont l'orchestre fait parfois écho à ce thème  en reprenant la mélodie sous une forme orchestrale dérivée comme pour  mieux personnifier le côté malsain du personnage. 'Frightened', 'Murder'  et 'The Last Victim' sont autant de pièces qui font monter la tension  et évoquent le suspense avec des cuivres pesants et agressifs et des  cordes tendues et dissonantes (à noter l'utilisation remarquable de la  harpe dans la séquence du 'Nocturnal Visitor'). Le thème de Jack  l'éventreur prend une plus grande importance dans le morceau 'The Fifth  Victim' lorsque Jack fait sa cinquième victime. Ce thème devient de plus  en plus hypnotisant et Rozsa l'orchestre de manière à le rendre de plus  en plus pesant. 'Dangerous Drive' est finalement le dernier grand  morceau d'action du score, très proche de l'excellent 'The  Ripper/Pursuit'. 'Dangerous Drive' renoue avec le style excitant de 'The  Ripper/Pursuit' en martelant une nouvelle rythmique orchestrale  frénétique pleine de fureur et d'énergie. Le morceau rend cette dernière  scène de poursuite (en voiture) particulièrement intense, évoquant  presque par moment la musique d'action que l'on pourra entendre à  l'époque, surtout chez Jerry Goldsmith. On a à faire ici à un deuxième  grand tour de force orchestral de la part du compositeur qui a écrit  l'un de ses plus beaux passages d'action de cette fin des années 70.  L'histoire trouvera paisiblement sa conclusion sur le très romantique  'Journey's End/Final' qui reprend une dernière fois le 'Love Theme' dans  une version de cordes très sirupeuse mais aussi très 'happy-end'  Hollywoodien kitsch des années 30/40.


Avec 'Time After Time', pas  de concession: d'une manière totalement radicale, Miklos Rozsa aura  tenu à aller jusqu'au bout de son propos en écrivant un score de  suspense/terreur renouant avec le style du Golden Age Hollywoodien des  années 30 jusqu'aux années 50. Certes, le décalage apparent avec la  'modernité' du film peut choquer, mais le résultat n'en est que plus  conséquent: on part d'une époque pour voyager dans une autre, et le  final mièvre très 'classicisme Hollywoodien' pourrait parfaitement  évoquer cette idée de retour vers le passé (Amy et Wells retournent dans  les années 1890, Wells emportant Amy avec lui). Certes, 'Time After  Time' n'a rien d'une composition follement originale: Rozsa se tourne  très clairement ici vers son passé en renouant avec le style de ses  musiques thriller telles que 'Spellbound', 'Double Indemnity' ou bien  encore 'The Killers'. Néanmoins, 'Time After Time' est considéré comme  l'un des derniers grands classiques du compositeur d'origine hongroise  avec sa fameuse partition pour 'Providence' écrite en 1977 pour le non  moins célèbre film d'Alain Resnais. Pour les fans de Miklos Rozsa, 'Time  After Time' s'avère être une BO incontournable. Pour les autres, il se  pourrait bien qu'il soit surpris par l'énergie déployé par le  compositeur dans ses morceaux d'action et de suspense. Un score qui rend  un bien bel hommage aux musiques thrillers/romantiques du 'Golden Age  Hollywoodien', signé par l'un des derniers grands maîtres de cette  époque déjà quelque peu lointaine.

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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