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The Bride of Frankenstein

Quentin Billard

Fort du succès de 'Frankenstein', film d'horreur mythique de James Whale, d'après le fameux roman de Mary Shelley, le producteur de chez Universal, Carl Laemmle Jr., décida qu'une suite devait être réalisée. James Whale accepta de reprendre du service pour un second opus, même si, à l'origine, il ne voulait pas donner de suite à 'Frankenstein'. Cette fois-ci, le monstre (Boris Karloff) imaginé par Mary Shelley revient après avoir survécu à l'incendie d'un vieux moulin par les villageois furieux. Le Dr. Henry Frankenstein (Colin Clive) a lui aussi survécu à l'incendie et se remet tranquillement de son aventure. Surgit alors le Dr.Pretorius (Ernest Thesiger), qui convainc Frankenstein de reprendre du service et de prolonger ses expériences sur la création de la vie. Frankenstein et Pretorius décident finalement qu'il faut créer une compagne pour le monstre. A la suite d'une nouvelle expérience de création de la vie à partir de cadavres et d'organes humains, Frankenstein donne naissance à la fiancée du monstre (Elsa Lanchester). Aussi amusant que cela puisse paraître, nous venons de vous raconter près de 95% du film. Effectivement, après une introduction ennuyeuse mais originale, mettant en scène Lord Byron, Percy et Mary Shelley (qui raconte la suite de sa propre histoire - une idée narrative intéressante mais sous-exploitée dans le film), l'histoire de Frankenstein se déroule lentement, durant près de 60 minutes. Le gros problème du film est le suivant: il est beaucoup trop court! 75 minutes, c'est peu pour un film de cette envergure, d'autant que la fin du film est outrageusement expéditive et que le début commence de manière un peu ennuyeuse. Le film, techniquement très réussi (la séquence des petits êtres dans les bocaux de Pretorius est très impressionnante pour l'époque), souffre malheureusement d'un problème de rythme et d'un manque de développement dans le scénario, qui accumule éléments après éléments mais sans jamais leur donner une unité, voire une cohérence (que viens faire l'épisode 'pastoral' avec le violoniste aveugle? Cela tombe comme un cheveu sur la soupe!). On considère généralement 'Bride of Frankenstein' comme l'un des grands classiques du film d'épouvante. Difficile pourtant de trouver quoique ce soit qui fasse de ce film une véritable réussite dans son genre, si ce n'est de très bonnes interprétations (superbe Boris Karloff, comme d'habitude!) et de bons effets spéciaux. Mais un scénario bâclé et une durée ridicule ruine un film qui aurait certainement gagné à être mieux étoffé, plus développé et surtout, plus convaincant sur le plan de la terreur. Effectivement, l'histoire de Frankenstein, malgré son contenu éthique/philosophique (l'homme qui se prend pour Dieu), n'est-elle pas à l'origine une source de terreur et d'épouvante? Ici, on a beau chercher, hormis deux ou trois passages, on ne trouvera pas grand chose de vraiment effrayant dans ce film!

Cette fois-ci, James Whale eu la bonne idée de faire appel au célèbre Franz Waxman, qui signe là une partition symphonique sombre et dramatique, dans la plus pure tradition du genre. Comme le film de James Whale, la musique de Waxman manque de terreur, de frisson. Le compositeur comble ce manque en élaborant des phrases plus lyriques, parfois même légères et pastorales, comme c'est le cas pour la séquence du bois, chez le violoniste aveugle. Le 'Main Title' nous plonge immédiatement dans l'ambiance sombre du film avec un premier thème, associé ici au personnage du monstre crée par Frankenstein. Le thème se caractérise sous la forme d'un petit motif de 5 notes de cuivres, plutôt rythmiques et dissonants, suggérant l'agressivité de la créature. Cette traditionnelle ouverture symphonique (un héritage des ouvertures des grands opéras du 19ème siècle - décidément, musique de film et opéra ont beaucoup de choses en commun) nous introduit en seconde partie le fameux thème de 3 notes de la fiancée (un des grands thèmes de Waxman), joué ici par des cordes au lyrisme flamboyant (on ressent ici l'héritage des Romantiques allemands du 19ème siècle) avec les Ondes Martenots soliste, instrument très utilisé à l'époque dans les musiques de film d'horreur et de science-fiction. Les Ondes Martenots évoquent à merveille ici l'univers fantastique du film.

Après cette superbe introduction, restée un classique dans la carrière du grand Franz Waxman, le 'Prologue/Menuetto and Storm' décrit l'introduction sereine du début avec Lord Byron et Mary Shelley. A noter ici l'utilisation d'un thème plus enjoué et léger au célesta, avec quelques cordes légères et un basson sautillant, une sorte de 'calme avant la tempête', un petit épisode musical servant de prologue à la partition de Waxman. Le monstre arrive enfin dans 'Monster Entrance', souligné par le biais des timbales agressives et le motif rythmique de cuivres, représentant à merveille le côté sauvage et agressif du monstre. Waxman pose ainsi des balises musicales qu'il réutilisera jusqu'à la fin du film, tout au long de sa partition orchestrale. Waxman construit ici la tension par le biais d'une richesse d'orchestration privilégiant tous les pupitres de l'orchestre, passant des cordes tendues aux bois frénétiques jusqu'aux cuivres agressifs et imposants pour le monstre. Après la marche funèbre de 'Processional March' (cf. superbe utilisation des Ondes Martenots) et ses cordes plaintives et tourmentées, Pretorius fait son entrée dans 'A Strange Apparition/Pretorius'Entrance/You Will Need A Coat', lorsque le docteur convainc Frankenstein de reprendre du servie. Le morceau évoque ici l'appréhension de Frankenstein, Waxman maintenant une certaine tension tout au long de cette séquence clé du film.

'Bottle Sequence' est quant à lui plus inventif et sautillant. Waxman évoque avec un certain humour quasi proche du mickey-mousing la séquence des petits êtres dans les bouteilles de Pretorius. On notera ici l'utilisation des vents sous une forme plutôt dansante (cf. plan de la petite ballerine), preuve que Waxman ne s'est pas vraiment trop pris au sérieux sur cette étonnante partition symphonique. C'est là qu'intervient la 'Pastorale' pour la petite séquence dans les bois, lorsque le monstre rencontre le violoniste aveugle. Cette petite pastorale utilise des cordes sautillantes avec une flûte qui évoque - de manière très niaise - le chant des oiseaux. En fait, plus la musique avance, moins on a l'impression d'être en train d'écouter une musique pour un film d'horreur. C'est bien ce que nous disions au début: 'Bride of Frankenstein' est tout somme un film terrifiant! Franz Waxman n'a fait qu'adhérer à ce fait plus qu'évident. L'excellent 'Crucifixion/Monster Breaks Out' fait intervenir un nouveau thème dominé par les cordes et les cuivres sous la forme d'une marche. Il intervient dans la séquence où le monstre se fait capturer et enfermer dans une prison. 'Fire In The Hut/Graveyard' (scène du cimetière après l'incendie dans la maison du violoniste aveugle) maintient quant à lui une ambiance à la fois agitée et mystérieuse avec un hautbois soliste et un balancement d'accords assez intrigant. On se rapproche déjà plus ici de l'ambiance d'une musique de film d'horreur, même si on est encore loin des déchaînements orchestraux chers à ce style de partition.

On notera l'étonnante utilisation d'un orgue dans 'Dance Macabre' sous la forme d'une petite valse sombre et mystérieuse. Le morceau illustre la scène où Pretorius reste seul près d'un crâne et des os et se réjouit de la réussite de son entreprise, un peu avant que le monstre ne vienne le trouver. Waxman nous propose une nouvelle touche d'humour avec cette petite valse macabre, un humour noir qui enrichit considérablement la palette musicale du compositeur et contribue à accentuer sa participation à l'écran (sa partition recèle ainsi d'une multitude de petites trouvailles fort intéressantes). Dans le sombre 'The Creation', la fiancée naît progressivement, le thème du monstre restant toujours très présent, soutenu par un rythme obstiné et tendu de timbales. La musique se veut ici plus tendue et plus sombre (d'où l'utilisation du motif du monstre). Elle doit servir à déboucher sur le puissant final du film, 'The Tower Explodes and Finale', véritable climax orchestral massif de la partition de Waxman.

'The Bride of Frankenstein' est l'un des premiers grands classiques de Franz Waxman, même si l'on est encore loin ici de la maturité de ses futurs travaux pour le cinéma. A vrai dire, il s'agit de la partition incontournable du compositeur lorsque l'on évoque sa participation à des films fantastiques/horrifiques. Cette partition est d'autant plus importante qu'elle marque l'entrée de Franz Waxman à Hollywood, en 1935. Le compositeur débuta auparavant en mettant en musique quelques films allemands et français ('Mauvaise graine' et 'La crise est finie', tout deux en 1934). Sans être un chef-d'oeuvre majeur dans la carrière de Waxman, 'The Bride of Frankenstein' nous offre néanmoins un superbe panel des possibilités musicales du compositeur, qui se montre ici assez inventif. Le score n'a vraiment rien d'horrifique et privilégie au contraire des ambiances parfois plus intimes, plus calmes voire plus sombres et mystérieuses, et ce en dehors de deux ou trois passages plus massifs. Voici donc l'un des premiers grands efforts orchestraux de ce compositeur inventif, à savourer avec l'excellente édition de 1993 que nous propose Silva Screen, avec, en bonus, un extrait d'un autre score du grand compositeur allemand, 'The Invisible Ray'.

by Quentin Billard 30 May 2024
INTRADA RECORDS Time: 29/40 - Tracks: 15 _____________________________________________________________________________ Polar mineur à petit budget datant de 1959 et réalisé par Irving Lerner, « City of Fear » met en scène Vince Edwards dans le rôle de Vince Ryker, un détenu qui s’est évadé de prison avec un complice en emportant avec lui un conteneur cylindrique, croyant contenir de l’héroïne. Mais ce que Vince ignore, c’est que le conteneur contient en réalité du cobalt-60, un matériau radioactif extrêmement dangereux, capable de raser une ville entière. Ryker se réfugie alors dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et retrouve à l’occasion sa fiancée, tandis que le détenu est traqué par la police, qui va tout faire pour retrouver Ryker et intercepter le produit radioactif avant qu’il ne soit trop tard. Le scénario du film reste donc très convenu et rappelle certains polars de l’époque (on pense par exemple à « Panic in the Streets » d’Elia Kazan en 1950, sur un scénario assez similaire), mais l’arrivée d’une intrigue en rapport avec la menace de la radioactivité est assez nouvelle pour l’époque et inspirera d’autres polars par la suite (cf. « The Satan Bug » de John Sturges en 1965). Le film repose sur un montage sobre et un rythme assez lent, chose curieuse pour une histoire de course contre la montre et de traque policière. A vrai dire, le manque de rythme et l’allure modérée des péripéties empêchent le film de décoller vraiment : Vince Edwards se voit confier ici un rôle solide, avec un personnage principal dont la santé ne cessera de se dégrader tout au long du film, subissant la radioactivité mortelle de son conteneur qu’il croit contenir de l’héroïne. Autour de lui, quelques personnages secondaires sans grand relief et toute une armada de policiers sérieux et stressés, bien déterminés à retrouver l’évadé et à récupérer le cobalt-60. Malgré l’interprétation convaincante de Vince Edwards (connu pour son rôle dans « Murder by Contract ») et quelques décors urbains réussis – le tout servi par une atmosphère de paranoïa typique du cinéma américain en pleine guerre froide - « City of Fear » déçoit par son manque de moyen et d’ambition, et échoue finalement à susciter le moindre suspense ou la moindre tension : la faute à une mise en scène réaliste, ultra sobre mais sans grande conviction, impersonnelle et peu convaincante, un comble pour un polar de ce genre qui tente de suivre la mode des films noirs américains de l’époque, mais sans réelle passion. Voilà donc une série-B poussiéreuse qui semble être très rapidement tombée dans l’oubli, si l’on excepte une récente réédition dans un coffret DVD consacré aux films noirs des années 50 produits par Columbia Pictures. Le jeune Jerry Goldsmith signa avec « City of Fear » sa deuxième partition musicale pour un long-métrage hollywoodien en 1959, après le western « Black Patch » en 1957. Le jeune musicien, alors âgé de 30 ans, avait à son actif toute une série de partitions écrites pour la télévision, et plus particulièrement pour la CBS, avec laquelle il travailla pendant plusieurs années. Si « City of Fear » fait indiscutablement partie des oeuvres de jeunesse oubliées du maestro, cela n’en demeure pas moins une étape importante dans la jeune carrière du compositeur à la fin des années 50 : le film d’Irving Lerner lui permit de s’attaquer pour la première fois au genre du thriller/polar au cinéma, genre dans lequel il deviendra une référence incontournable pour les décennies à venir. Pour Jerry Goldsmith, le challenge était double sur « City of Fear » : il fallait à la fois évoquer le suspense haletant du film sous la forme d’un compte à rebours, tout en évoquant la menace constante du cobalt-60, véritable anti-héros du film qui devient quasiment une sorte de personnage à part entière – tout en étant associé à Vince Edwards tout au long du récit. Pour Goldsmith, un premier choix s’imposa : celui de l’orchestration. Habitué à travailler pour la CBS avec des formations réduites, le maestro fit appel à un orchestre sans violons ni altos, mais avec tout un pupitre de percussions assez éclectique : xylophone, piano, marimba, harpe, cloches, vibraphone, timbales, caisse claire, glockenspiel, bongos, etc. Le pupitre des cuivres reste aussi très présent et assez imposant, tout comme celui des bois. Les cordes se résument finalement aux registres les plus graves, à travers l’utilisation quasi exclusive des violoncelles et des contrebasses. Dès les premières notes de la musique (« Get Away/Main Title »), Goldsmith établit sans équivoque une sombre atmosphère de poursuite et de danger, à travers une musique agitée, tendue et mouvementée. Alors que l’on aperçoit Ryker et son complice en train de s’échapper à toute vitesse en voiture, Goldsmith introduit une figure rythmique ascendante des cuivres, sur fond de rythmes complexes évoquant tout aussi bien Stravinsky que Bartok – deux influences majeures chez le maestro américain. On notera ici l’utilisation caractéristique du xylophone et des bongos, deux instruments qui seront très présents tout au long du score de « City of Fear », tandis que le piano renforce la tension par ses ponctuations de notes graves sur fond d’harmonies menaçantes des bois et des cuivres : une mélodie se dessine alors lentement au piccolo et au glockenspiel, et qui deviendra très rapidement le thème principal du score, thème empreint d’un certain mystère, tout en annonçant la menace à venir. C’est à partir de « Road Block » que Goldsmith introduit les sonorités associées dans le film à Ryker : on retrouve ici le jeu particulier des percussions (notes rapides de xylophone, ponctuation de piano/timbales) tandis qu’une trompette soliste fait ici son apparition, instrument rattaché dans le film à Ryker. La trompette revient dans « Motel », dans lequel les bongos créent ici un sentiment d’urgence sur fond de ponctuations de trombones et de timbales. Le morceau reflète parfaitement l’ambiance de paranoïa et de tension psychologique du film, tandis que les harmonies sombres du début sont reprises dans « The Facts », pour évoquer la menace du cobalt-60. Ce morceau permet alors à Jerry Goldsmith de développer les sonorités associées à la substance toxique dans le film (un peu comme il le fera quelques années plus tard dans le film « The Satan Bug » en 1965), par le biais de ponctuations de trompettes en sourdine, de percussion métallique et d’un raclement de guiro, évoquant judicieusement le contenant métallique du cobalt-60, que transporte Ryker tout au long du film (croyant à tort qu’il contient de la drogue). « Montage #1 » est quand à lui un premier morceau-clé de la partition de « City of Fear », car le morceau introduit les sonorités associées aux policiers qui traquent le fugitif tout au long du film. Goldsmith met ici l’accent sur un ostinato quasi guerrier de timbales agressives sur fond de cuivres en sourdine, de bois aigus et de caisse claire quasi martial : le morceau possède d’ailleurs un côté militaire assez impressionnant, évoquant les forces policières et l’urgence de la situation : stopper le fugitif à tout prix. Le réalisateur offre même une séquence de montage illustrant les préparatifs de la police pour le début de la course poursuite dans toute la ville, ce qui permet au maestro de s’exprimer pleinement en musique avec « Montage #1 ». Plus particulier, « Tennis Shoes » introduit du jazz traditionnel pour le côté « polar » du film (à noter que le pianiste du score n’est autre que le jeune John Williams !). Le morceau est associé dans le film au personnage de Pete Hallon (Sherwood Price), le gangster complice de Ryker que ce dernier finira par assassiner à la suite de plusieurs maladresses. Le motif jazzy d’Hallon revient ensuite dans « The Shoes » et « Montage #2 », qui reprend le même sentiment d’urgence que la première séquence de montage policier, avec le retour ici du motif descendant rapide de 7 notes qui introduisait le film au tout début de « Get Away/Main Title ». La mélodie principale de piccolo sur fond d’harmonies sombres de bois reviennent enfin dans « You Can’t Stay », rappelant encore une fois la menace du cobalt-60, avec une opposition étonnante ici entre le registre très aigu de la mélodie et l’extrême grave des harmonies, un élément qui renforce davantage la tension dans la musique du film. Le morceau développe ensuite le thème principal pour les dernières secondes du morceau, reprenant une bonne partie du « Main Title ». La tension monte ensuite d’un cran dans le sombre et agité « Taxicab », reprenant les ponctuations métalliques et agressives associées au cobalt-60 (avec son effet particulier du raclement de guiro cubain), tout comme le sombre « Waiting » ou l’oppressant « Search » et son écriture torturée de cordes évoquant la dégradation physique et mentale de Ryker, contaminé par le cobalt-60. « Search » permet au compositeur de mélanger les sonorités métalliques de la substance toxique, la trompette « polar » de Ryker et les harmonies sombres et torturées du « Main Title », aboutissant aux rythmes de bongos/xylophone syncopés complexes de « Track Down » et au climax brutal de « End of the Road » avec sa série de notes staccatos complexes de trompettes et contrebasses. La tension orchestrale de « End of the Road » aboutit finalement à la coda agressive de « Finale », dans lequel Goldsmith résume ses principales idées sonores/thématiques/instrumentales de sa partition en moins de 2 minutes pour la conclusion du film – on retrouve ainsi le motif descendant du « Main Title », le thème principal, le motif métallique et le raclement de guiro du cobalt-60 – un final somme toute assez sombre et élégiaque, typique de Goldsmith. Vous l’aurez certainement compris, « City of Fear » possède déjà les principaux atouts du style Jerry Goldsmith, bien plus reconnaissable ici que dans son premier essai de 1957, « Black Patch ». La musique de « City of Fear » reste d'ailleurs le meilleur élément du long-métrage un peu pauvre d'Irving Lerner : aux images sèches et peu inspirantes du film, Goldsmith répond par une musique sombre, complexe, virile, nerveuse et oppressante. Le musicien met en avant tout au long du film d’Irving Lerner une instrumentation personnelle, mélangeant les influences du XXe siècle (Stravinsky, Bartok, etc.) avec une inventivité et une modernité déconcertante - on est déjà en plein dans le style suspense du Goldsmith des années 60/70. Goldsmith fit partie à cette époque d’une nouvelle génération de musiciens qui apportèrent un point de vue différent et rafraîchissant à la musique de film hollywoodienne (Bernard Herrmann ayant déjà ouvert la voie à cette nouvelle conception) : là où un Steiner ou un Newman aurait proposé une musique purement jazzy ou même inspirée du Romantisme allemand, Goldsmith ira davantage vers la musique extra européenne tout en bousculant l’orchestre hollywoodien traditionnel et en s’affranchissant des figures rythmiques classiques, mélodiques et harmoniques du Golden Age hollywoodien. Sans être un chef-d’oeuvre dans son genre, « City of Fear » reste malgré tout un premier score majeur dans les musiques de jeunesse de Jerry Goldsmith : cette partition, pas si anecdotique qu’elle en a l’air au premier abord, servira de pont vers de futures partitions telles que « The Prize » et surtout « The Satan Bug ». « City of Fear » permit ainsi à Goldsmith de concrétiser ses idées qu’il développa tout au long de ses années à la CBS, et les amplifia sur le film d’Iriving Lerner à l’échelle cinématographique, annonçant déjà certaines de ses futures grandes musiques d’action/suspense pour les décennies à venir – les recettes du style Goldsmith sont déjà là : rythmes syncopés complexes, orchestrations inventives, développements thématiques riches, travail passionné sur la relation image/musique, etc. Voilà donc une musique rare et un peu oubliée du maestro californien, à redécouvrir rapidement grâce à l’excellente édition CD publiée par Intrada, qui contient l’intégralité des 29 minutes écrites par Goldsmith pour « City of Fear », le tout servi par un son tout à fait honorable pour un enregistrement de 1959 ! 
by Quentin Billard 24 May 2024
Essential scores - Jerry Goldsmith
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